Face à l’énorme buzz culinaire mondial, ardemment relayé sur les réseaux sociaux de cette tablette de chocolat fourrée à la crème de pistache, de sésame (tahini) et aux cheveux d’anges croustillants (kadaïf), les artisans boulangers, pâtissiers et glaciers n’hésitent pas à surfer sur la vague. Avec de bons résultats, à condition d’en faire un outil stratégique bien piloté.

Tendance virale venue des réseaux sociaux, le « Dubaï chocolate » a inspiré de nombreux artisans de la boulangerie, pâtisserie et confiserie à l’image de « Nîmaï », invention signée par Anissa Sadaoui, ancienne candidate de l’émission Le Meilleur Pâtissier de M6, située dans le Gard. D’autres ont inventé des versions glacées ou en gâteau, qui reprennent les saveurs mais pas la forme.
Un levier de différenciation très fort
« Il ne s’agit pas juste d’un nouveau chocolat à la pistache », souligne Lionel Broilliard de Red Pepper Consulting, spécialisé en pilotage d’entreprise de la boulangerie et de la pâtisserie artisanale. « On parle ici d’un positionnement produit premium, très visuel, avec des codes orientaux : safran, datte, or alimentaire, packaging travaillé, etc. Le but, c’est clairement de créer un effet “waouh” en boutique. C’est un produit qui fait parler de lui, qui attire, et qui sert de vitrine. Ça a un impact fort sur l’image de la marque. On sort des codes classiques du pain chaud, des tartes aux pommes, ou du chocolat cassé pour aller sur un terrain plus proche de la pâtisserie de luxe ou du cadeau gourmet. »
Pour certain, l’écho de la demande se ressent aussi sur des produits aux ingrédients similaires qui étaient proposés avant l’avènement de cette spécialité. C’est le cas de la Maison Pralus, dont le siège est basé à Roanne (42), où « la Barre Infernale pistache (confectionnée avec une coque de chocolat noir, une crème de pistache et des pistaches entières et vendue depuis 2012, ndrl) est toujours un succès mais les équipes ont remarqué une hausse des ventes de l’ordre de 50% depuis l’engouement suscité par le chocolat Dubaï. Elle est passée au premier rang des ventes en 2024, devant la Barre Infernale lait et la Barre Infernale noire », écrit le service de communication de l’entreprise.


« 15€ pour une taille de tablette traditionnelle »
« Sur le plan économique, suivre cette tendance peut être très intéressant », ajoute ainsi Lionel Broilliard. « Ce type de produit a une valeur perçue élevée, donc il est possible de justifier un prix de vente supérieur, je le vois souvent à 15€ pour une taille de tablette traditionnelle. Les artisans s’y retrouve au travers d’un coefficient de marge multiplié par six au moins, mais encore faut-il le mettre vraiment en avant et, en magasin, surfer correctement sur cette vague que les jeunes adorent. Soit on le fait vraiment bien, soit il faut éviter de faire un “one shot” mal ficelé. »
Une présentation en boutique cohérente, un discours clair de l’équipe avec communication bien pensée, et surtout une logique de gamme capsule (limitée dans le temps, bien scénarisée, et assumée comme un « plus » dans l’univers du point de vente) : voilà le triptyque à bien maîtriser selon le spécialiste.
Autre point à monitorer, celui de l’approvisionnement en pistache. Car le phénomène, s’il peut devenir un véritable levier de croissance et nourrir une expérience client différenciante, entraîne une envolée des prix des matières premières, dans un contexte de recul de la production aux Etats-Unis, le premier exportateur mondial, précise un communiqué de presse de SumUp, une startup qui fournit un logiciel de paiement aux commerçants. Et d’ajouter : « Le buzz autour du chocolat Dubaï montre comment une tendance née sur les réseaux peut avoir des effets inattendus sur les chaînes d’approvisionnement. Si l’impact reste pour l’instant limité, il s’ajoute à un contexte déjà tendu pour les artisans confrontés à la hausse des prix du cacao. »
L’occasion de se tourner vers la filière de production de pistache française ? Peut-être, mais pas encore car il y aura peu de récoltes en 2025. « On travaille sur la réintroduction des pistachiers en France depuis 2017 et il faut six ans pour la mise en fruit d’un arbre. Aujourd’hui, 500 ha sont plantés, qui ont produit quelques petits kilos de récolte par-ci par-là en 2024 », note Alexis Bertucat, secrétaire général de l’association Pistache en Provence. Une rareté qui incitera peut-être les professionnels de la pâtisserie ou de la confiserie à plutôt valoriser la pistache française dans son entièreté : transformée en pâte, elle perdrait en effet beaucoup de son goût d’origine.
Anaïs Digonnet