En matière de pain, vous le savez, mon objectif est d’œuvrer à l’amélioration de sa valeur nutritionnelle. La nécessité de panifier des ingrédients plus complets et plus difficiles à panifier que la farine blanche conduit à repenser entièrement les bases actuelles de la panification. En recherchant l’excellence nutritionnelle, c’est l’ensemble des techniques conventionnelles qui est remis en question, ce qui devrait permettre au pain en général de franchir un saut technologique majeur. Je vais essayer de vous donner les explications les plus claires possibles concernant ce changement déjà amorcé dans la méthode Respectus Panis, mais pas suffisamment explicité. Cette méthode de très faible ensemencement à température ambiante de farines natives, avec une quasi suppression du pétrissage, est un progrès majeur pour améliorer la qualité organoleptique du pain, mais il est important d’aller plus loin en matière de nutrition et d’évolution de la panification.
Une compréhension nouvelle de la panification
Comme je vous l’ai expliqué précédemment dans mon article précédent sur le granipain, la finalité originelle de la panification était de rendre digestible un ensemble de graines après leur broyage et leur humidification. Un résultat aussi remarquable provient du fait qu’à l’état de bouillie, les graines ont la capacité d’assurer l’auto destruction de leurs parois végétales et de leurs pigments, d’autant que la diversité de leurs enzymes hydrolytiques et de leurs oxydases peut être activée par la fermentation et la baisse du pH. Cette auto digestion végétale permet aux différentes graines de se fondre dans une même mie et d’aboutir à un pain relativement homogène. En boulangerie, le rôle de la fermentation de la pâte est souvent mis en exergue et le travail obscur des enzymes végétales est largement ignoré et bien mal exploité, vu que l’essentiel de la panification est centrée sur des farines blanches de blé très pauvres en fibres. L’art nouveau que je défends vise à une meilleure utilisation d’un ensemble de graines ou de sons en panification, en facilitant leur auto digestion par leurs propres enzymes. A la lecture des traités de panification, on enseigne bien aux boulangers l’opportunité d’une étape d’autolyse, consistant à ménager un temps de repos après le frasage, pour permettre à tous les constituants de la pâte de s’hydrater normalement et de faciliter leur lissage par le pétrissage. Cependant, on est loin de rechercher des hydrolyses végétales intenses, tout au plus on en attend une possible accélération de la fermentation par la libération préalable de sucres induite par l’amylase. Pourtant la pâte peut même vivre sa vie sans l’énergie du pétrin, au point de développer elle-même son réseau de gluten grâce à l’action conjuguée des enzymes végétales et de la fermentation.
Vers une conduite nouvelle de la panification
Avec des farines blanches même de type 80, il est impossible d’obtenir des pains de haute densité nutritionnelle. Il est indispensable d’avoir recours à une grande diversité de sons ou de graines entières de toutes origines (l’ensemble des céréales, des pseudo-céréales, des légumineuses, des graines oléagineuses ou aromatiques). On peut facilement incorporer 5% de son et 5 à 15% de graines diverses préalablement broyées en mélange. Concrètement, je préconise maintenant, pour constituer le mélange, de broyer les légumes secs séparément et le plus finement possible. Cependant ces ingrédients végétaux ne doivent pas être incorporés directement à la farine de blé pour démarrer dans la foulée la panification.
L’étape clé de la bouillie fermentaire
Je vous avais déjà parlé de cette étape et je l’avais nommé le complément nutritionnel fermenté (CNF). Elle est d’une extrême facilité à conduire, puisqu’il suffit d’hydrater fortement les ingrédients (à raison de 300% pour les sons et de 200% pour les graines) et d’ensemencer avec très peu de levain (aux environs de 1%). Il s’agit de mettre en route la diversité des hydrolases ou oxydases végétales. Évidemment si on passe par le froid, tout s’arrête et sans l’aide du levain le travail enzymatique est moins actif. L’idéal est d’aboutir après 12 heures d’incubation à un pH proche de 4, 5 et de démarrer alors la panification à la farine blanche. Cette bouillie fermentée peut servir de levain, mais je sais aussi que de nombreux boulangers ont un attachement quasi viscéral à la levure. Je sais que certains réalisent un simple trempage des graines, mais à mon avis c’est moins efficace que la technique de la bouillie fermentée. Pour le granipain, je vous ai recommandé 20% de graines mais je sais que beaucoup de boulangers préfèrent ne pas mettre la barre aussi haut. Par contre, sur le plan nutritionnel, s’en tenir à la seule farine de blé ne suffit plus.
Une réduction extrême du pétrissage et du sel
Il semble plus facile de développer le réseau du gluten grâce à l’énergie mécanique du pétrissage mais cela modifie entièrement l’environnement du grain d’amidon avec des conséquences négatives avérées sur la conservation du pain et son index glycémique. Or les activités enzymatiques apportées par la bouillie fermentée sont suffisantes pour induire les oxydations nécessaires à la formation des ponts disulfures du réseau de gluten. S’il vous plait laissez vivre la pâte et n’inhibez pas les fermentations par un excès de sel. Avec le CNF qui apporte du goût, avec une pâte très peu pétrie, 12 g de sel au kilo de farine suffisent. Je vous en prie, essayez donc !
Le contrôle de la durée de pointage
Chaque boulanger a ses contraintes horaires, et le froid permet d’allonger la durée du pointage. Dans la mesure où la fermentation des graines en bouillie a pu être conduite à température ambiante, l’essentiel des transformations enzymatiques a pu avoir lieu, et il devient envisageable de ralentir la vitesse de pointage par le recours à un froid modéré de 10-12 degrés, sans conséquence sur la maturation de la pâte. En conclusion, j’espère que vous saurez prendre ce tournant nutritionnel qui vous tend les mains. Il me semble que je pourrais mieux vous accompagner et vous conseiller si vous étiez plus nombreux à me faire part des difficultés rencontrées.