Cet Auvergnat d’origine (né dans le petit village de Montel De Gelat, entre Montluçon et Clermont Ferrand), a été plongé dès son enfance dans l’univers de la Boulangerie Pâtisserie qui remonte à plusieurs générations. Après quelques années chez Paul Bocuse puis, Fauchon à Paris aux cotés de Pierre Hermé, il décide pourtant de partir vers l’Amérique. Nous sommes en 1997, Christophe a 28 ans et 100 dollars en poche…
Sa carrière américaine commence chez Daniel Boulud à New York. Ce sera ensuite la Californie et Los Angeles… depuis fin 2014, le chef est en charge du secteur Boulangerie-Pâtisserie (avec la gestion d’un staff de 150 personnes), pour « Bristol Farms », une chaîne alimentaire très haut de gamme, dont l’implantation est uniquement en Californie, avec 15 adresses sur un positionnement géographique de prestige, depuis San Francisco à San Diego, en passant par Beverly Hills et Santa Monica.
Le concept de « Bristol Farms » : le BIO, naturel et frais, la mise en avant de producteurs locaux, de références très haut de gamme en gastronomie française et internationale.
« Cette chaîne est née il y a une trentaine d’années, avec des investisseurs -c’est une chance-, eux-mêmes très gourmets, qui sont partis dès l’origine sur du haut de gamme, axé sur le naturel et le BI0. Cette idée n’a jamais varié. »
2 000 m2 de surface en moyenne sur les implantations (c’est petit aux Etats Unis !), un grand rayon de fromages et d’alcools où les marques françaises tiennent une large place (avec des bouteilles de cognac allant jusqu’à 9 800 dollars pièce), un espace « Traiteur » où tout est travaillé sur place et à la demande, comme pour les « Maîtres Sushis » ou la cuisine de légumes au wok… « Tout est très sélectif chez nous, des produits en agro alimentaire jusqu’à l’art de la table, avec quelques belles références. Nous avons une clientèle de gourmets, qui a voyagé et connaît bien l’Europe, entre autres destinations. La plupart amoureux de produits français, comme les vins et les fromages. »
Tout est fait pour mettre les clients en situation du « marché du dimanche » : des paniers (ou de petits chariots), la photo des éleveurs et producteurs locaux affichée… « La tendance ″terroir*″ est très forte , avec des fournisseurs sur une zone géographique de 100 kms. Il y a de très bons produits en Californie : viandes, volailles, fruits et légumes cueillis à maturation, comme les fraises de Santa Barbara, récoltées en saison la veille et sur nos rayons à l’aube. Chez nous, la DLC est de 72 heures. »
*ndlr : à savoir que le mot « locavore » et ce qu’il implique par rapport au terroir, n’est pas né en France, ni en Europe. Nous le devons à Richard Olney, journaliste gastronomique et écrivain américain (aussi amoureux de la France où il a vécu), qui, il y a un demi-siècle, a imaginé et promu cette idée.
La Boulangerie-Pâtisserie : tradition française & Co…
Christophe Moreau gère trois cuissons (minimum) journalières. « J’ai une équipe de nuit et d’autres qui prennent le relais dans la journée. » Croissants, palmiers, pains au chocolat…sont proposés le matin. « Avec des muffins bien sûr, et des propositions salées, très appréciées ici au petit déjeuner, comme des croissants au jambon et béchamel, ou feta-épinard. »
La « French baguette » est à l’honneur, comme le « French toast » : une brioche travaillée façon « pain perdu ».
« Tout est naturel chez nous. Notre production est sans additifs, ni colorants chimiques ou agents de conservation. Nous avons de très bons beurres, crèmes, lait, œufs, tous de fermiers locaux (seul notre chocolat vient de Belgique). »
« C’est très important dans notre concept, et pour la clientèle en général, attachée à la notion de santé et de diététique. Pour ce qui est du ″gluten free″, il faut savoir que la Californie représente 30 % du marché américain ! »
En Pâtisserie, l’enseigne pioche régulièrement dans les 1 400 références de sa carte générale. Parmi les plébiscités : les éclairs, tartes aux pommes, macarons, mille feuilles, bavarois… Mais c’est non pour le baba au rhum. « Les gens n’aiment pas trop l’alcool dans les desserts. Une question liée à la santé pour eux ? ».
D’autres références sont bien américaines, comme les « pies » (avec différents parfums), les donuts et le cheese cake. « Toujours sur la base du naturel et travaillés avec des produits frais et fermiers. ». Christophe a développé récemment une gamme de cookies avec 60 g de chocolat (sur 150 g au total), servis chauds « nous sommes en test sur deux magasins, et c’est un gros succès ! »
Le chef ayant été engagé, en parallèle de son savoir faire en boulangerie-pâtisserie, pour trouver de nouvelles idées de gammes. « En ce moment, je suis sur les bagels. Trouver des goûts, des parfums… j’ai mis toute mon équipe sur ce projet. » Il travaille aussi sur une ligne de «quatre quart» aux différents parfums, afin de les proposer depuis le petit déjeuner jusqu’en soirée. « Un gâteau qui se prête à des variations infinies, voilà pourquoi j’ai eu cette idée. »
Des horaires très larges et un service à la carte
Tous les magasins sont ouverts de 7h à 22 heures, dont certains jusqu’à minuit.
Le matin, rush jusqu’à 9h30. Viennoiseries, sablés, scones… café, thés, jus de fruits et de légumes (très à la mode), pressés devant le client.
De 11h à 14h, c’est le lunch, avec des salades, soupes, pizzas et sandwiches divers. « Les clients apprécient les sandwiches chauds, particulièrement avec de la ciabatta, c’est très tendance en ce moment. » Coté salades, une particularité chez Bristol Farms : une dizaine de références est proposée, toutes au même prix (8.99 dollars les 500 gr).
Les sandwiches sont en libre service ou, préparés en fonction des demandes, tout comme les salades. Si un client souhaite une composition différente, pas de problème, c’est élaboré sur place. Nos sauces sont servies à part, avec des vinaigrettes maison. »
Pour le coin café (tous les magasins ont un espace de consommation), ou la vente à emporter, le temps d’attente client doit rester le même : 8 minutes entre la prise de commande et le service. « Un standard chez nous, car les gens ont 30 minutes de break pour le déjeuner. »
Promouvoir le produit… et ses aspects santé
Chaque lancement d’une nouveauté passe tout d’abord par un investissement en promotion durant 3 semaines, avec un échantillonnage. Plateaux sur les comptoirs et circulation dans les magasins pour déguster, description des valeurs santé… « Nous sommes vraiment dans une approche pédagogique. L’esprit gourmet n’est pas le seul, nous travaillons aussi sur le bien être avec des fiches remises aux clients qui détaillent les composants, les effets bénéfiques pour le cholestérol, les apports nutritionnels… . »
Pour le recrutement, prendre en compte le turn over
Il y a peu d’écoles publiques en Boulangerie & Pâtisserie aux Etats Unis. A savoir qu’une formation annuelle est de l’ordre de 45 000 dollars… Pas facile. « Nous avons beaucoup de personnes qui ont appris sur le tas, avec peu d’expérience. C’est à moi de les former, avec d’autres méthodes de travail, plus pratiques et précises, qui n’ont rien à voir avec la France. Par exemple, si on parle de 10 ans de formation comme chez nous, pour eux, c’est une éternité ! »
Le turn over est sur trois mois, six mois, un an…« La passion ici, c’est le ″business″. C’est l’argent qui définit la cadre de vie. Un élément à comprendre, auquel je me suis habitué. Beaucoup de gens ont plusieurs jobs, pour améliorer leur qualité de vie et celle de leur famille, certains jardiniers le matin et cuisiniers le soir ! Ils sont très bosseurs. Oui, ils peuvent nous quitter pour un job avec un dollar de plus à l’heure. Mais en revanche, ils m’ont rarement laissé tomber dans des moments difficiles. Tout le monde est là s’il faut faire des heures supplémentaires. »
En management, rester calme, toujours
Concernant la gestion de l’équipe, mieux vaut laisser les cris éventuels de coté. « En France, on peut gueuler, ici, non (beaucoup de chefs français ont été renvoyés car ils n’avaient pas la bonne manière de fonctionner). On doit être calme, pédagogue, montrer et remontrer sans arrêt. Si on gueule, les gens s’en vont. Je l’ai appris, compris et je l’accepte. Je n’oublie pas non plus que la plupart de nos employés sont partis de rien. Donc, je cible sur une connaissance de 15 à 30 recettes maximum pour chacun, c’est parfait.»
La passion de Christophe Moreau reste intacte, mais revue à l’américaine
« Mon métier remonte à mon arrière grand père. J’ai aussi appris chez Paul Bocuse ou avec Pierre Hermé, tout ce sens du petit détail… Ici, c’est différent : faut que ça roule ! Ce qui n’a pas été facile pour moi les premières années… Nous sommes dans la Qualité oui, mais avec une autre forme d’exécution pour assurer la rentabilité. Et si un produit a du succès, parfait. S’il n’en a pas (ou pas suffisamment), on change.»
Une charge de travail intense et une qualité de vie hors normes
Avec un départ à 5h du matin, des journées d’un minimum de 10 à 12 heures et 2400 kilomètres parcourus tous les mois entre le bureau et la visite régulière des magasins, le planning est bien chargé. « Mais il y a un superbe environnement, un beau climat. On vit tous en bermuda et tee shirt dès la sortie du boulot ! C’est une vie saine, calme, avec une maison à 15 minutes de la plage. »
Le chef, marié avec un fils de quinze ans, est bien parti pour rester en Amérique.
La « madeleine de Proust » de Christophe Moreau
« Le fromage, particulièrement le chèvre frais, la faisselle, le fromage d’Auvergne, les andouillettes, les rillons… Je peux en manger jusqu’à n’en plus finir ! Ma maman le sait : quand je viens en France, elle met tout sur la table et pour toute la famille: le saucisson et le jambon, les fromages…J’ai une chance, c’est d’avoir été habitué à manger des choses simples et bonnes dans ma jeunesse. »
Bristol Farms
“Your extraordinary Food Store”
http://www.bristolfarms.com