Une frégate de dernière génération, au double rôle. Celui des missions opérationnelles en bâtiment de guerre et celui des missions de coopération, en vitrine du savoir faire industriel français et européen. En restauration, le secteur «vivres» réunit sept personnes dont le boulanger-pâtissier, qui participent à la cohésion de l’équipage et à son bien être.
Par Marie Anne Page
Un axe fort de reconnaissance pour les métiers de bouche. En clé de voûte, l’étroite collaboration entre le commis, le chef de cuisine et le maître d’hôtel. «Ce triptyque, à l’écoute des attentes de chacun -c’est cette individualisation qui renforce le collectif-, est un élément très important pour le bien être des marins, éloignés de leur famille et de leur terre natale. Le repas est un moment de détente et une médecine préventive» expliquait avant ce reportage le commandant Akhoune, porte-parole du préfet maritime de l’Atlantique.
L’arrivée à bord de la frégate multi-missions Aquitaine
Voir un bâtiment au loin est une chose. Une autre est de se retrouver à quai, face à une masse de 6000 tonnes, sans hublots apparents. La sensation est forte, mêlant appréhension et admiration.
Une fois à l’intérieur, la notion d’espace est étonnante et la luminosité agréable (artificielle, car seule la passerelle de navigation est vitrée).
Equipée de missiles, de torpilles et d’une plate forme pour embarquer un hélicoptère, elle offre une large capacité d’intervention qui nécessite la polyvalence. En exemples, le chef de cuisine est adjoint à la police de bord, le boulanger-pâtissier est équipier de plage avant/ brancardier de l’équipe médicale. Monsieur le commissaire (en charge de l’administration du navire) l’officier Florian*, explique le contexte. «Pour tous les postes, la polyvalence est encouragée car nous sommes techniciens, marins et militaires, avec un équipage resserré et de nombreuses exigences opérationnelles.»
109 personnes y sont affectées (à la différence des frégates plus anciennes qui comptent 250 membres). La moyenne d’âge est de 34 ans (19 pour le plus jeune, 52 pour le plus âgé), le taux de féminisation de 15%.
*NDLR : Pour respecter les consignes de sécurité, les personnes citées sont uniquement présentées avec leur grade et leur prénom.
Le « secteur vivres », au cœur du bâtiment
Il est situé au pont 01, en point central. «Tout est regroupé au même endroit sur cette génération de frégates : circuit de livraison et de stockage en voie directe, élaboration et délivrance des repas. C’est ce qui fait la différence en conditions de travail» souligne le commis et premier maître Laurent.
La cuisine-boulangerie-pâtisserie de 25 m² est parfaitement équipée : un four double de 20 plaques, un autre de 10 pour la boulangerie, une chambre de pousse, un laminoir…sans oublier le batteur, les sauteuses, un grill, une plaque à snack et, deux friteuses! Véritable plaisir des marins, les frites sont maintenant possibles jusqu’à mer 5 (soit trois mètres de houle), grâce à de nouveaux systèmes de bacs qui équilibrent le niveau de l’huile. Un exploit pour les bateaux de surface (le contexte n’est pas le même à bord des sous-marins).
Cinq tonnes de vivres toutes les quinzaines
C’est une moyenne. Elles sont embarquées en sec, surgelé et frais. Le frais (2 tonnes) comprenant pour moitié des fruits et légumes. L’eau (potable, avec un bon goût sur l’Aquitaine, c’est souligné!) et la plupart des boissons n’entrent pas dans ce volume.
En France, le premier maître Laurent (qui gère les approvisionnements), passe par l’Economat des armées pour l’épicerie et le surgelé (dont les glaces). Sur Brest, il commande le frais par d’autres plates-formes en privilégiant le local et les circuits courts.
Le ravitaillement peut aussi se faire à la mer, via d’autres bateaux. En escale à l’international, les commandes passent par un ship chandlers. Mandaté par l’ambassade, ce prestataire assure l’ensemble de la logistique et met en circuit des fournisseurs locaux. Occasion de découvrir nombre de produits, tel le «saumon des dieux», un poisson magnifique du Pacifique, goûté à Tahiti avec une sauce vanille.
La santé et l’équilibre nutritionnel sont en constante
Semestriellement, une commission d’ordinaire réunit le service des vivres, le médecin du bord et le commissaire avec une palette représentative des membres de l’équipage. Cette rencontre Institutionnalisée traite les approvisionnements et l’équilibre nutritionnel. Equilibre qui prend en compte la surveillance du poids. Ce qui amène à parler de la petite coopérative à bord, où l’on peut se fournir en produits divers, snacks salés, barres chocolatées, petits gâteaux… «La coopérative, mon plus grand ennemi!» commente en souriant le médecin principal Xavier.
Un univers qui intègre l’excellence française
Dirigée par le premier maître Laurent, commis et chef de secteur, l’équipe comprend le second maître Mickaël en chef de cuisine, entouré du maître Sébastien, des quartiers-maîtres Damien et Nicolas en aide-cuisiniers et du matelot Corentin pour la boulangerie-pâtisserie. Au poste de maître d’hôtel (nommé motel dans la Marine), le matelot Kevin. Attaché au commandant, il a pour mission de gérer les tâches quotidiennes liées à son carré (approvisionnement, préparation, entretien, service…) et la partie délivrance des repas, qui va jusqu’aux manifestations officielles organisées à bord. Territoire français à part entière lors des escales, le bâtiment devient une force diplomatique et commerciale, la cuisine gastronomique servie à bord un rayonnement de l’excellence française.
Engagé à 23 ans, le chef cuisinier et second maître Mickaël avait déjà un beau parcours à Paris et en régions, dont chez des étoilés. «Mais je voulais servir mon pays, servir les autres et je me sens bien avec cet aspect militaire. Il y a l’éloignement de la famille c’est vrai, nous avons des contraintes (cela bouge un bateau!), mais on ne travaille pas différemment que dans le civil. Le résultat est le même, voire meilleur. Dans la Marine, on a la chance de voyager, de découvrir des produits à chaque escale et d’apprendre tous les jours.»
Le boulanger-pâtissier travaille en nocturne
A 21 ans, le matelot Corentin possède une belle expérience. Après son Bac Pro en boulangerie-pâtisserie, il souhaitait voyager et évoluer différemment. «On fait d’autres choses, c’est plus complet, on apprend plus vite. Il y a de l’autonomie et des responsabilités.». Et c’est un fait. A son arrivée, le chef a commencé par le faire bouger dans tous les secteurs en cuisine pour lui donner une vue d’ensemble.
Sa plage de travail s’organise entre 22 heures et le petit déjeuner, à 7 heures. Un moment privilégié avec les arômes du pain frais et de la viennoiserie (les odeurs, si importantes à bord!), où l’équipage doit se retrouver, de même pour ceux ayant fait des quarts de nuit. Une façon de maintenir la cohésion et de garder un rythme biologique.
30 kilos de farine sont travaillés au quotidien pour le pain blanc et les viennoiseries, avec en alternance, les pains spéciaux et les gâteaux.
En viennoiseries, des pains au chocolat (les plus appréciés), des croissants et brioches. Pour les gâteaux et desserts, choux chantilly, éclairs au chocolat ou aux fruits, gâteaux au chocolat, tiramisu…D’autres recettes sont inspirées de régions ou de pays pour les «repas à thème». Cheese cake pour un spécial USA avec nuggets et burger, Tarte aux pommes à la crème (précédée de flamenkuche et choucroute, servies avec un verre de gewurztraminer), pour l’Alsace… Ces événements n’ont pas de date fixe. Ils se décident entre le commis, le chef de cuisine et le maître d’hôtel.
La cuisine se fait en deux temps, comme dans le civil
Arrivée de l’équipe entre 6h et 6h30. La matinée se consacre aux cuissons (l’épluchage des légumes se fait la veille) et à la mise en place des deux services au déjeuner (de11h à 11h30 et de 12h et 12h30). Les préparations du dîner pour un seul service, de 19h à 20h20. Deux spécificités : le casse croûte de la nuit réservé aux marins en quart, qui met à libre disposition du pain, du pâté, des sardines et des fruits et, la préparation de plats chauds et rapides lors des exercices de combat (lasagnes et raviolis le plus souvent), livrés en barquettes sous portions individuelles.
Le choix des repas s’organise une semaine à l’avance
Un soin est apporté à la variété des produits et des modes de cuisson. En exemple de menus lors du reportage: buffet de crudités , côte de porc sauce charcutière et son écrasé de pomme de terre, laitages et fruits le mardi soir. Au déjeuner du mercredi, plateau de charcuterie, poulet au thym, spaghettis aux légumes frais, yaourts et fruits. Une expression drôle entendue pour un légume, celle des roulements à billes pour les petits pois!
Le poisson est au menu le lundi et le vendredi (une institution), le steak grillé -avec des frites-, et un gâteau pour le dessert entrent dans une autre institution, celle du jeudi pour le repas amélioré.
Ce qui est moins apprécié ? Le pamplemousse et les betteraves. En refus total, les choux de Bruxelles, salsifis et blettes (mauvais souvenirs de cantine scolaire?). Quant à «l’animal aux grandes oreilles», il n’est jamais cuisiné et on ne prononce surtout pas son nom à bord!
Du matelot au commandant, un plateau repas, un même menu
Le service à l’assiette a disparu (sauf lorsque le commandant reçoit des VIP). Chacun a son plateau comme dans un self et passe par la rampe de délivrance avant d’aller vers son carré. La différence se situe au niveau des couverts (argentés et siglés pour les officiers).
L’organisation par «carrés» fait partie des rites et des codes
Les personnes sont réparties par grades dans leurs espaces de restauration et de détente. Et chacun l’apprécie car le groupe partage les mêmes types de responsabilités. On aborde des sujets communs, on décompresse.
Les frégates en ont quatre: le carré du commandant, celui des officiers subalternes (les lieutenants et les capitaines), celui des officiers mariniers supérieurs (OMS, les plus anciens à bord) et, la cafétéria pour les équipages et les officiers mariniers.
Un président et un vice président sont nommés. Leur rôle est de veiller particulièrement à l’harmonie de l’ambiance. Le chef de gamelle s’occupe des fêtes et des anniversaires, le chef de bar, des boissons d’amélioration de l’ordinaire qui comprend les hygiéniques (les sodas et eaux gazeuses, l’origine de cette appellation reste un mystère!), ainsi que des bières et du vin, sous quota, la Marine appliquant une politique de «zéro tolérance» pour les abus d’alcool.
La « madeleine de Proust » des marins
En mission, le burger ou le kebab frites, des plaisirs «qui rapprochent de la vraie vie». A terre, le repas en famille. Ce n’est pas ce qui se mange qui compte, mais la réunion avec les proches.
NDLR . A quelques jours de son appareillage, l’Aquitaine préparait son «cocktail des familles» qui se déroule généralement une fois par an. On accueille les proches à bord pour un cocktail et une sortie en mer. Un beau moment de partage qui tisse d’autres liens, montre que le bateau est un tout, et solidaire.
L’emploi dans la Marine
Le poste de «commis» cité dans l’article correspond à la spécialité GECOLL (gérant d’établissement de restauration collective), qui supervise de la préparation des repas et assure la gestion des approvisionnements. Pour tous types d’affectations, une formation initiale militaire et maritime est imposée avec une durée variable selon le contrat. De même que la solde(égale pour les hommes et les femmes, c’est à souligner), tenant compte du grade, l’affectation, les missions…ainsi que les diplômes, qualifications et certificats obtenus dans la Marine, où la carrière permet d’accéder à différents emplois et d’évoluer. Source : CIRFA de Brest / www.etremarin.fr