Une « mécanisation intelligente »

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Fabrice Gillotte ©Naoto Ishimaru

Deux mots qui peuvent déranger dans un univers artisanal, et on peut le comprendre. On peut du moins s’interroger, se remettre en question par rapport à un état d’esprit parfois difficile à bousculer ! Pour ma part, j’y ai réfléchi depuis plus de 30 ans… Déjà, en apprentissage de pâtissier-chocolatier en 1981, je m’interrogeais sur des gestes répétitifs, surtout à l’époque de Noël en chocolaterie où on réalisait le trempage des bonbons de chocolat à la main des heures et des heures : assis devant sa trempeuse à plonger. Il fallait ressortir un bonbon de cette divine couverture de chocolat, avec une « fourchette », et déposer chaque bonbon sur une feuille, délicatement pour ensuite déposer soit un décor, soit faire un trait de finition sur le dessus. Un autre temps… un temps que très peu de gens connaissent ! Certes, il y avait une maîtrise et la beauté du geste, mais pour m’être installé en 1985, très jeune, dans la reprise d’une chocolaterie et confiserie sans pâtisseries, c’était plus que rare à l’époque. Croyez-moi, les 50 heures par semaine de trempage à la main vous marquent une vie.

En 1985, sont apparues les premières petites enrobeuses pour mécaniser ces étapes fastidieuses et peu enrichissantes. Du temps libéré pour plus de réflexion sur les produits. Une révolution était en marche dans le domaine de la chocolaterie, au même titre que la pâtisserie qui avait connu l’arrivée des pétrins mécaniques ainsi que les premiers laminoirs dans le laboratoire. Une révolution qui dérangeait déjà et où les premiers acteurs se faisaient déjà traiter d’industriels… Cette réflexion sur la mécanisation ne m’a jamais quitté, pour une raison majeure : la remise en question permanente sur les méthodes de travail, les techniques, la vitesse, etc. Souci majeur de mon existence : peut-être que dans ma tête tout va simplement toujours trop vite depuis mon enfance.

Mais revenons à l’essentiel même de ma quête. La mécanisation dite « intelligente » permet donc une réflexion totale de la production : optimisation de la régularité et précision de produits. Elle permet de donner une cadence à celle-ci, d’améliorer le confort pour tous les salariés et de préserver la santé au travail. Les gestes répétitifs peuvent amener des lésions motrices (tendinite, bursite, etc.) et il est intéressant de limiter les tâches ingrates sans valeurs ajoutées. Cela concerne la partie purement technique, mécanique, mais l’élément majeur n’est pas que là…

La mécanisation offre la possibilité d’orienter les salariés vers des tâches gratifiantes, comme la conception et l’innovation. Des éléments primordiaux pour la santé intellectuelle et l’accomplissement de nos salariés. L’innovation, voilà peut-être l’élément majeur, paradoxalement à la mécanisation « intelligente », permet la création de produits nouveaux, non réalisables sans les multiples technologies employées uniquement par la main de l’homme. C’est bien l’esprit qui dirige la main !

Déplacer cet « espace-temps » vers la créativité. Les nouvelles technologies m’ont toujours passionné, avec un regard tourné essentiellement vers d’autres professions, d’autres horizons. Une multitude de techniques, de machines, pendant une vingtaine d’années, entreront dans notre atelier. Les doseuses one shot ont révolutionné le dosage, nous étions les premiers à utiliser la découpe jet d’eau il y a quatorze ans quand personne n’y croyait : aujourd’hui, un grand nombre de chocolatiers et pâtissiers exploitent cette technologie. Nous travaillons depuis quatorze ans avec la société Hydroprocess, basée en Bourgogne, à côté de chez nous. D’autres machines, pensées par moi-même, seront mises sur papier (souffleuse, racleuse, retournement macarons, fermeture macarons par robotisation, etc.) et réalisées par la seule personne capable de suivre ma folie « mécanique » et mes demandes les plus folles. Peut-être parce que le fabricant conçoit tout dans un atelier hors norme de découpe et tournage.

Les dénommés Philippe et Victor Noeppel de la société Novachoc à Benfeld en Alsace, Philippe, le roi de la mécanique, et Victor, son fils, le prince de la robotique, merci messieurs de permettre à un « fou » comme vous l’appelez, de pouvoir avancer, d’évoluer !

Depuis dix ans, nous utilisons la technologie FrozenShell nous permettant de réaliser des caissettes chocolat sur une ligne de dosage pour la réalisation de nos bonbons de chocolats et, dernièrement, une robotisation d’un ensemble de quatre robots nous permettant de ranger quatre formes différentes de caissettes vides en blister (réalisation Novachoc), et de commercialiser à tous les pâtissiers, chocolatiers, glaciers et traiteurs via le réseau de distribution de la société Agrimontana. Évolution, créativité, innovation.

Les nouvelles technologies ouvrent de nouveaux horizons, de nouveaux challenges technologiques. Elles permettent à l’artisan d’aujourd’hui et de demain d’être novateur et dans son temps, avec les outils de son temps ! L’enjeu, en effet, n’est plus dans la simple reconduction de ce qui existe mais d’imaginer, d’oser et de risquer ce qui n’existe pas encore !

Par Fabrice Gillotte
MOF Chocolatier