Et si la pâtisserie de demain n’était autre que celle d’hier…

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Quelles sont les tendances en pâtisserie ? Comment imaginez-vous la pâtisserie à l’avenir ? Quel est l’avenir de la pâtisserie ? Croyez-vous que la pâtisserie artisanale ait encore de l’avenir ? Voici les questions que l’on me pose souvent.

© Gaelle bc photographe

Après presque 40 ans de métier, j’en ai vu, j’en ai goûté, fabriqué par milliers ;
Après quasiment 30 ans d’expérience à former, donner des cours, animer des démonstrations, aller former et conseiller les pâtissiers et les artisans dans leurs ateliers ou laboratoires ;
Après toutes ces années à arpenter les routes, fréquenter les aéroports et les gares, pour faire le Tour de France et le tour du monde afin de représenter, enseigner et promouvoir la pâtisserie française ;
Après 16 ans d’installation en tant qu’artisan pâtissier à tenter chaque jour d’être meilleur que la veille, que la semaine et que l’année passée,
Après près d’une quarantaine de livres écrits et la moitié éditée à mon compte ;
Après sept années, depuis sa création, à imaginer, concevoir et éditer mon magazine Passionnément Artisan.
Et, enfin, après toutes ces années à avoir concouru, jugé et organiser des concours, un seul et simple constat me vient en tête : Et si la pâtisserie de demain n’était autre que celle d’hier ?

Quoi de meilleur qu’un bon croissant bien fait, bien poussé, mais pas trop, bien cuit et cuit tout au long de la journée ?
Quoi de meilleur qu’un bon éclair avec une pâte à choux fraîche, bien développée, garnie d’une bonne crème parfumée, le tout glacé comme il faut ?
Quoi de meilleur qu’un bon mille-feuille cuit à la perfection, caramélisé à point, garni d’une bonne crème bien vanillée ? Le tout monté juste avant l’ouverture de la boutique…
Quoi de meilleur qu’un bon chausson aux pommes au feuilletage parfait et garni d’une délicieuse compote maison, ou encore qu’une tarte Bourdaloue faite avec des poires pochées « maison » ?
Je ne peux pas tous les citer car je risquerais d’en oublier…

© Xavier Ferrand

Mais voilà : tout ça pour dire, et cela n’est que mon simple et humble avis, que cette pâtisserie classique, traditionnelle, est éternelle et indémodable. Surtout, c’est bien-là le plus important : elle est très appréciée de nos clients !

Attention, il ne faut pas s’y méprendre : faire simple, classique et traditionnel n’est pas facile, bien au contraire… Plus les produits sont classiques et traditionnels, plus il faut aller à l’essentiel et dans le détail, maîtriser les recettes, les bases et les gestes. Il faut être pâtissier, les avoir appris, les avoir répétés des dizaines, des centaines de fois pour les maîtriser. Les textures, les températures, les épaisseurs, les temps de repos, la maîtrise de la cuisson… tout est important pour réaliser ces produits dans les règles de l’art.

Au cœur de ce savoir-faire, deux éléments clé : la formation des professionnels et, surtout, des futurs professionnels et le choix des matières premières.

Nos métiers, contrairement à ce que les médias le laissent croire, ne sont pas des métiers faciles qui s’apprennent en six mois… Et ce ne sont pas des métiers de show et de téléréalité. Ce sont de vrais métiers de passion et de labeur dans lesquels on évolue et on progresse, on se perfectionne tout au long de notre carrière selon l’énergie et l’intensité que l’on y met. Il y a cette phrase que j’adore : « On n’atteint pas des sommets en faisant comme tout le monde ! »

Aujourd’hui, les écoles de pâtisseries sont pleines à craquer : nous sommes débordés de demandes d’apprentissage, mais nous ne trouvons pas ou peu d’ouvriers et encore moins d’ouvriers qualifiés. Où sont-ils ?

© Xavier Ferrand

L’apprentissage (et de fait les apprentis) est protégé. Que dis-je : surprotégé, par tout un tas de réglementations qui, à mon avis, sont contre-productives à l’apprentissage (le vrai au sens propre du terme).

Ensuite l’apprenti est diplômé, il postule à un poste d’ouvrier et découvre la vraie vie… Il faut travailler tôt le matin, il faut être productif, il faut être autonome, il faut être rentable… Et là : gros pourcentage d’abandon du métier !

Une fois de plus, ce n’est que mon simple et humble avis, mais il y a un gros (très gros) décalage entre ce qui est abordé et proposé aux apprentis dans les centres de formation et la réalité de l’entreprise. Le système est-il encore d’actualité ? Les référentiels sont-ils encore d’époque ? La formation et les méthodes enseignées sont-elles encore au goût du jour ? Les formateurs sont-ils dans de bonnes conditions et ont-ils les bons outils pour bien former nos jeunes ?

© Xavier Ferrand

Selon moi, attention, danger !

Que dire du niveau des examens ? Qu’est devenu notre beau BTM ? Et notre incontournable CAP ? Je sais que ces questions dérangent, mais que deviennent ces diplômés quand ils arrivent dans nos entreprises ? Faisons-nous rêver, à tort, nos jeunes et nos apprentis ? Pourquoi autant d’abandon dans notre filière ?

Ensuite, il y a la matière première, l’ingrédient ou plutôt ce que nos amis cuisiniers appellent le produit. Il faut le choisir, le sélectionner, le respecter, bien l’utiliser.

Il ne faut pas changer de fournisseur, de producteur ou de qualité tous les quatre matins pour tenter de gagner 10 ct/kg. Là encore, fiabilité et constance sont les clés du succès.

Comme je me plais à le répéter depuis très longtemps pour obtenir la qualité dans nos métiers, il faut l’association du savoir-faire et la qualité des ingrédients utilisés. Cela peut paraître simple et facile à dire ou à écrire, mais c’est un vrai travail de tous les jours qui demande beaucoup de sérieux et de conscience professionnelle.

Si la tendance est de consommer local et avec des circuits courts, je pense qu’il y a aussi urgence à utiliser de vrais ingrédients (pour faire de vrais produits, de vrais gâteaux), des ingrédients simples ; urgence à respecter le plus possible les saisons, employer des fruits frais, varier les gammes et les cartes en fonction de la disponibilité des ingrédients. Et non, il n’y a pas de tout, tout le temps !

Après, vient le facteur essentiel dans nos métiers : la régularité. Sacerdoce au quotidien pour proposer à notre clientèle le même produit avec le même goût, la même texture, la même fraîcheur tous les jours, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige. Là est bien la difficulté essentielle de notre métier !

© Constantin S.

Et puis, surtout, et c’est ça le plus important, il y a la philosophie, la ligne de conduite à tenir en ne se laissant pas griser et influencer pas les modes très passagères et les tendances peu fondées… Il faut garder le cap et ses convictions de vie et de travail ! Oui, bien sûr le métier évolue, les professionnels évoluent, les consommateurs et les modes de consommations changent mais il ne faut pas s’y tromper, il y a des choses qui ne passent pas de mode : ce sont les fondations de nos métiers, les essentiels, les incontournables, vous les appellerez comme vous voudrez… Alors évidemment on peut proposer d’autres choses différentes, revisiter, créer, mais il ne faut pas trop oublier et s’éloigner de notre culture et de nos racines !

Et surtout pensons à bien écouter et analyser les goûts de nos clients, et vous verrez que la pâtisserie ne va pas si mal et a encore de beaux jours devant elle. Mais attention à ne pas casser le jouet…

Ne vous méprenez pas, pâtisserie classique et traditionnelle ne veut pas dire bas de gamme et pâtisserie sophistiquée ne veut pas dire haut de gamme… Et souvent, c’est même le contraire. Oui, cette pâtisserie simple, classique et traditionnelle ne supporte pas l’approximation et la médiocrité. Au contraire, cela demande précision et respect du détail.

Je dirais même que, plus cela est classique et simple, plus il faut être pointu, rigoureux et exigeant. Comme je le répète souvent, le plus compliqué est de faire simple et les choses les plus simples sont souvent les meilleures quand elles sont bien faites.

Comme M. Paul Bocuse aimait à le dire : « Il n’y a pas de cuisine classique ou moderne, il y a la bonne ou la mauvaise cuisine ! »

Je terminerais en ajoutant que, bien sûr, il faut adapter nos métiers, nos méthodes, nos techniques et rythmes de travail à notre époque et à l’évolution de la société. Mais pour résumer, la pâtisserie est simple… Ce sont les pâtissiers qui l’ont compliquée. N’oublions pas que nos clients veulent des produits simples, bons, frais, et qu’aujourd’hui les consommateurs sont hyperconnaisseurs et bien informés !

Avec toute ma sympathie gourmande,

Stéphane Glacier
Meilleur ouvrier de France pâtissier
Président de Tradition gourmande
Fondateur du magazine Passionnément Artisan