Pierre Hermé : « Le chocolat est l’un des dix grands produits de la pâtisserie que j’affectionne particulièrement »

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Pâtissier et chocolatier français, Pierre Hermé est l’un des chefs les plus influents au monde, honoré de multiples fois, notamment par l’Académie des World’s 50 Best Restaurants. Président de plusieurs concours, dont la prestigieuse Coupe du Monde de la Pâtisserie qui se déroulera au Sirha Lyon en janvier 2025, il revient sur son parcours, ses projets, et donne sa vision de l’évolution des arts sucrés face aux nouvelles attentes des consommateurs.

© Patrick Rougereau

Comment est née votre vocation de pâtissier ?

Pierre Hermé : Je suis né à Colmar, dans une famille de boulangers-pâtissiers. C’est mon père qui m’a donné envie de faire ce métier et je représente la 4e génération.

Parmi vos créations, Ispahan, lancé en 1997, ne semble jamais démodé. Comment crée-t-on une signature ?

P. H. : Ce sont les clients qui décident de ce qui devient ou pas un dessert iconique. Une fois lancé, il ne vous appartient plus. Pour Ispahan, le succès n’a pas été immédiat, plutôt à moyen terme, mais j’ai toujours été intimement convaincu que l’alliance de la rose au litchi et à la framboise était un accord de saveurs très opportun. Aujourd’hui, il y a d’autres créations qui sont devenues des produits fétiches comme le macaron Mogador ou le Paris-Brest Carrément Chocolat.

© Laurent Fau

La fin d’année rime dans le métier des arts sucrés avec des produits de fête. Quels sont vos incontournables en cette période ?

P. H. : Les macarons spéciaux, les panettones empruntés à la tradition italienne, les stollens qui viennent plutôt de la culture germano-alsacienne font partie des créations à l’honneur pour les fêtes. Sans oublier de proposer les bûches et de terminer la saison par les galettes.

En avril 2024, vous avez ouvert Infiniment Chocolat à Paris, votre première chocolaterie. Que représente pour vous ce métier de chocolatier ?

P. H. : On connaît le savoir-faire de la maison pour les macarons mais pas beaucoup pour les chocolats, alors que l’on reçoit souvent le compliment qu’ils sont très bons. Je voulais donc mettre à l’honneur cet artisanat. Et il ne faut pas oublier que le métier de chocolatier fait partie des disciplines enseignées dans le CAP pâtisserie, au même titre que celui de confiseur et glacier. Le chocolat est l’un des dix grands produits de la pâtisserie que j’affectionne particulièrement. Je travaille sur des chocolats pure origine, d’une plantation ou d’une localisation spécifique, que je fais élaborer par Valrhona comme le pure origine Brésil de la plantation Paineiras. Le chocolat au lait que je fabrique est assez haut en pourcentage de cacao, avec des notes aromatiques biscuitées et caramélisées.

En octobre, vous étiez président d’honneur du Concours de la Pâtisserie Durable organisé par La Fondation pour la Cuisine Durable by Olivier Ginon. Qu’est-ce que cette tendance vous évoque ?

P. H. : On ne pourra plus faire de pâtisserie sans prendre en compte tous les paramètres inhérents à la responsabilité sociétale des entreprises et c’est pour cela que j’ai accepté de m’investir dans cet événement aux côtés de GL events et Valrhona. C’est un sujet en mouvement, qui fait partie de nos préoccupations d’avenir. En interne, pour les chocolats par exemple, on propose un emballage sans plastique, avec l’objectif de faire de même pour les macarons, même si c’est un sujet complexe à mettre en œuvre. Depuis trois ans, dans toutes nos collections, il y a en permanence une pâtisserie végétale. On travaille aussi sur un autre sujet qu’est la gourmandise raisonnée, qui consiste à réduire le sucre et les lipides. Même si ces produits ne correspondent pas à une demande très importante, on ne peut plus proposer une carte sans qu’ils ne soient présents.

Londres, Doha, Tokyo, Marrakech et bientôt Taïwan où vous vous préparez à l’ouverture de nouveaux points de vente et d’un atelier de fabrication… Comment travaillez-vous pour vous adapter à ces différents marchés internationaux ?

P. H. : Dans chacun des pays, la gamme est la même qu’en France et, au fur et à mesure, on peut lancer des pâtisseries spécifiques. Pour La Mamounia à Marrakech, j’ai créé le Macaron Amlou, pour rendre hommage à la fameuse préparation berbère à base d’amandes, de miel et d’huile d’argan. En 2025, nous ouvrirons aussi un laboratoire et un point de vente à Singapour avec une offre développée sur les glaces, en cône, en soft ou encore en brioche glacée. Cette expérience aura une valeur de test pour une gamme que l’on n’a pas encore proposée.

À l’Institut Culinaire de France, à Bordeaux, vous présidez un comité pédagogique qui a fait élaborer des gâteaux par ses élèves grâce à l’intelligence artificielle. Qu’est-ce que cette technologie peut apporter à votre métier ?

P. H. : L’objectif du concours interne était de permettre de faire émerger des idées et de voir comment l’IA pouvait aider les apprenants à penser autrement. Pour moi, l’IA est un réel outil qui peut favoriser l’innovation, comme un ustensile de pâtisserie mais ce n’est pas l’IA qui va faire le gâteau. Son utilisation doit toujours se faire avec beaucoup de lucidité.

Vous êtes le président de la Coupe du Monde de la Pâtisserie qui va se dérouler à Sirha Lyon en janvier 2025. Que représente ce concours mondial pour vous ?

P. H. : Pour moi, cette compétition a pour objectif de favoriser l’émulation pour le métier dans plusieurs pays et c’est aussi un outil de transmission auprès des jeunes ! En 2025, j’ai choisi Amaury Guichon [chef pâtissier franco-suisse à la tête de la Pastry Academy à Las Vegas] comme président d’honneur. Je trouve que c’est une personnalité assez symbolique pour son talent mais aussi parce qu’il donne une visibilité énorme au métier à travers le monde, notamment à travers ses 60 millions de followers sur les réseaux sociaux.

Le manque de personnel touche de nombreux métiers de l’artisanat de bouche comme la pâtisserie. Quels sont vos outils pour limiter le turnover ?

P. H. : Ce phénomène est vraiment apparu après le Covid-19. Mais, d’après moi, le turnover est un faux problème. Dans notre artisanat, nous employons souvent de jeunes passionnés qui ont besoin de forger leur expérience dans différentes maisons. J’estime que l’important c’est de savoir les envoyer au bon endroit pour qu’ils renforcent leurs acquis, en respectant leurs envies et surtout, de garder un lien avec eux le jour où ils veulent revenir.

Vous êtes un exemple de réussite. Qui sont pour vous les représentants d’une jeune garde qui incarnent aussi cette excellence ?

P. H. : Cédric Grolet, Maxime Frédéric, Claire Damon ou encore Nicolas Paciello sont des pâtissiers qui ont creusé leur propre sillon. Dans ce métier, la recherche de qualité, la valorisation de son savoir-faire et la différenciation sont indispensables. Il faut aussi une bonne culture qui, en plus de la maîtrise technique, permet vraiment d’être créatif.

Propos recueillis par Anaïs Digonnet