Sans boutique ni desserts à vendre, Amaury Guichon est le pâtissier le plus suivi au monde sur les réseaux sociaux. Président d’honneur de la finale de la Coupe du Monde de la Pâtisserie 2025 au Sirha Lyon, il revient sur son parcours et la création de son école de formation à Las Vegas.
Pourquoi avez-vous choisi cette carrière ?
Amaury Guichon : À 14 ans, on m’a dit que j’étais trop nul pour continuer une voie académique et que je devais m’orienter vers un métier manuel. Mon père ayant fait une partie de sa carrière en cuisine, j’ai suivi cette voie, un peu forcé, en intégrant un BEP cuisine, arts et services de la table à l’école hôtelière de Thonon-les-Bains.
Après la cuisine, vous avez poursuivi en pâtisserie…
A. G. : Je trouvais très attrayant le côté artistique des métiers sucrés, et j’ai développé une véritable affinité avec le travail du chocolat, du pastillage et du pain. En pâtisserie, à la différence de la cuisine où l’on doit sublimer les produits, on doit tout créer de A à Z. Et depuis 18 ans que j’évolue dans ce métier, c’est toujours ce travail de trans-formation complète qui me plaît le plus.
Quel a été l’impact de l’émission « Qui sera le prochain grand pâtissier ? » diffusé en 2013 sur France 2 ?
A. G. : J’ai rencontré sur le tournage Christophe Michalak qui était l’un des chefs instructeurs. Il était à l’époque une véritable star avec le vent en poupe suite à sa victoire à la Coupe du Monde de la Pâtisserie [en 2005, N.D.L.R.]. Je lui ai fait part de mon envie de vivre une expérience internationale pour apprendre à parler anglais, sachant qu’il avait fait une partie de sa carrière en Californie. Deux mois après la fin du tournage, il m’a envoyé un SMS pour me dire que l’un de ses contacts ouvrait un poste de pâtissier à Las Vegas.
En 2013, vous partez prendre les commandes de Jean-Philippe Pâtisserie dans le Nevada. Comment s’est passée votre arrivée dans une brigade américaine ?
A. G. : Malgré le succès de l’émission, ici, j’étais un parfait inconnu qui repartait presque de zéro. La seule différence résidait dans le fait que j’étais le plus jeune de la brigade, occupant une position de management et ne parlant pas la langue des membres de mon équipe. Gagner une certaine légitimité a été difficile. En France, si tu es jeune mais que tu as les compétences, la passion et le talent, les gens te suivent. Aux États-Unis, tu peux tirer des roses en sucre, tes salariés restent plus motivés par l’argent et le temps libre qu’ils peuvent avoir.
Et dans la pratique pure du métier ?
A. G. : Par chance, on utilisait énormément de produits importés de France, comme le beurre ou le chocolat. En revanche, j’ai vraiment appris à embrasser la culture américaine du dessert. Cup cakes, brownies, cookies sont des recettes qui peuvent être perçues comme moins cuites voire moins digestes, mais ce sont des références dans la gastronomie sucrée américaine car elles font écho à l’enfance. Beaucoup de mes confrères français essaient d’apporter leur vision quand ils ouvrent aux États-Unis en faisant fi de ce paramètre, cela peut être un pari payant pour une expérience unique, mais pas forcément pour fidéliser une clientèle qui a ses propres standards. Les wedding cakes ont été ma plus grosse découverte et notamment le métier de « cake decorator » : ce ne sont pas des pâtissiers, mais ils savent embellir la pâtisserie sans forcément s’intéresser au goût. Depuis, dans mes créations, je travaille à conjuguer l’esthétisme sans compromettre le goût.
En 2019, vous avez cofondé la Pastry Academy avec Michel Ernots à Las Vegas. Quelle est la mission de cette école ?
A. G. : La Pastry Academy est une vraie école de formation, pour inspirer les chefs et pour quiconque veut améliorer sa carrière. Le concept est simple : en sept semaines, nous passons en revue tout ce qui a trait aux métiers de la boulan-gerie, de la pâtisserie et de la chocolaterie. Chaque module commence par une introduction théo-rique pour comprendre ce qu’est une émulsion, ce qui se passe pendant une congélation, etc. Ce n’est pas tout que les élèves aient de bonnes recettes : il faut aussi qu’ils comprennent comment la recette fonctionne. Alors évidemment, en sept semaines, on ne devient pas un chef. Mais on donne à nos apprenants toutes les ressources nécessaires pour qu’ils acquièrent des fondations solides. Ils suivent des ateliers pratiques sur la préparation des bases, mais aussi des démonstrations de professionnels aux compétences certifiées.
Vous êtes le pâtissier le plus suivi au monde avec, tous réseaux sociaux confondus, une communauté de plus de 80 millions de personnes. Quels seraient vos meilleurs conseils pour une stratégie sur les réseaux sociaux afin de valoriser son travail ?
A. G. : Quand je me suis lancé, je voulais mettre en lumière les métiers de bouche, car je souffrais de la manière dont les métiers de l’artisanat étaient dénigrés. À l’époque, le monde de la pâtisserie était très secret et, pour la première fois, j’ai invité les gens dans les coulisses. Le secret numéro 1 c’est la discipline et le sacrifice absolu. Du lundi au vendredi, je suis en classe pour enseigner, à raison de 10 à 12 heures par jour, et le samedi et dimanche, je dirige, j’édite les vidéos et je m’occupe de mes réseaux sociaux. J’ai appris à prendre la lumière, les angles, à analyser ce qui plaît à mon audience et à travailler pour que mes contenus soient poussés par l’algorithme. Mais attention, on n’a pas besoin d’avoir des millions de followers pour être un bon pâtissier et entrepreneur. Les réseaux sociaux sont un moyen de faire connaître mon école.
Que ressentez-vous à l’idée d’être le président d’honneur de la finale de la Coupe du Monde de la Pâtisserie en 2025 ?
A. G. : C’est l’un des plus grands honneurs que m’offre Pierre Hermé [le président, N.D.L.R.]. Je me souviens du jeune apprenti que j’étais qui n’aurait même pas osé participer à ce concours. Me retrouver dans une position où je peux juger les meilleurs d’une nation du monde est une mission que je vais faire avec beaucoup d’humilité et d’intégrité.
L’une des épreuves sera de réaliser et de scénographier une création sucrée à base de chocolat dans un esprit street food – finger food. Pour expliquer leur démarche créative, les candidats devront aussi réaliser une vidéo « Reel » de 30 secondes. Quels conseils leur donnez-vous ?
A. G. : Il est dur de faire comprendre au travers du téléphone que ce qu’on fait est bon. Mais la vidéo permet de mettre l’accent sur l’intelligence de la main pour susciter une vraie émotion, le moelleux d’un biscuit ou la tendresse d’une crème. Attention aussi à la lumière !
Propos recueillis par Anaïs Digonnet