Améliorer la panification grâce à des compléments nutritionnels fermentés (CNF)

0

Il y près de vingt ans déjà, en tant que nutritionniste et directeur de recherche INRA, j’avais pris l’initiative de lancer la première campagne de vulgarisation en faveur de l’utilisation des farines type 80. Chacun dans son rôle, la réaction des meuniers fut franchement hostile, ils n’avaient pas anticipé le vent de l’histoire, et à l’exception d’un petit nombre d’entre eux, les boulangers se montrèrent également très réticents. Avec le recul, cette résistance au changement, cet attachement à des farines très raffinées peut paraître assez incompréhensible et incompatible avec la défense de la valeur nutritionnelle du pain. La raison a fini par l’emporter, la mie des pains français a bronzé, en moyenne le type des farines utilisées en panification a augmenté, mais l’évolution a été bien lente, malgré tous les arguments scientifiques. Nous sommes sur la bonne voie, mais je vais vous montrer aussi qu’il ne faut pas s’arrêter en si bon chemin.

Quels sont les termes de l’équation du problème à résoudre : premièrement, le grain de blé accumule les trois quarts des fibres, des minéraux et des micronutriments dans les enveloppes et le germe, deuxièmement toutes les enquêtes épidémiologiques nous indiquent qu’il vaut mieux consommer des produits céréaliers complets plutôt que raffinés, du pain bis ou complet plutôt que du pain blanc. Après avoir franchi le cap des T 80, ce qui est loin d’être la règle générale, on pourrait donc penser qu’il suffirait d’augmenter encore  la densité de la farine   vers les types 110-130, voire 150 pour mieux résoudre la question de la qualité nutritionnelle du pain ; c’est ce que font pour répondre à cette demande les meuniers en incluant 5 à 15 % de sons micronisés dans la farine blanche. Seulement s’il est très facile de panifier une T 80 avec un bon alvéolage, il n’en est pas de même avec des farines semi complètes ou complètes dont les particules de son rompent le réseau par leurs effets de piqûre. Le deuxième inconvénient bien plus grave est que le son, pour sa tolérance gustative et la dégradation de ses constituants (acide phytique) nécessite une hydratation et un temps de fermentation plus important que celui de la farine. Jusqu’à présent, la boulangerie a cru pouvoir panifier la farine et les sons ensemble sans leur faire subir des traitements différents, or, il est clair que ces deux types de substrat doivent subir des étapes fermentaires différentes. Les procédés de mouture  devraient seulement être destinés à obtenir deux fractions majeures, des farines type 65- 80 et les issues en provenance des enveloppes et des germes. Les issues peuvent être triées (fin son, gros son, remoulages) mais il est peu intéressant de les broyer plus finement pour en faire une farine de type élevé. Donc, ce n’est pas une perspective intéressante pour la meunerie, qui devrait plutôt simplifier  les diagrammes des moulins à cylindre  pour produire le plus directement possible des farines type 80, rejoignant ainsi les performances des farines à la meule de pierre. Dans une perspective de valorisation des sons en boulangerie, il revient aussi aux meuniers d’exiger l’interdiction des pesticides pour le stockage des grains.

Il faut donc résoudre la question de l’utilisation des sons. Longtemps on a considéré que le pain pouvait être produit seulement avec 4 ingrédients : la farine, l’eau, le sel et un ferment. Ce schéma convient parfaitement pour l’utilisation d’une farine blanche mais ne permet pas de traiter toutes les fractions du grain de blé. Les sons, porteurs de l’essentiel de la valeur nutritionnelle ne peuvent pas être traités correctement avec l’hydratation d’une panification conventionnelle et nécessitent de subir l’action préalable d’un levain. Donc, il faut abandonner le schéma classique des 4 ingrédients pour introduire  dans vos pétrins un nouvel et cinquième ingrédient que nous pourrions appeler le Complément Nutritionnel Fermenté, le CNF en abréviation. Le plus basique de ce CNF est du son fermenté, de préférence bio et encore mieux en provenance de variétés de blé anciennes, moins productives mais sensiblement plus riches en micronutriments. Je vous en ai déjà donné le mode de préparation : 3,2 litres d’eau par kg de son, 50 g de levain et 24 heures de fermentation à température ambiante. Cette bouillie peut être préparée au bâton avec une facilité extrême ; nul besoin de fermentolevain destinés à l’utilisation de farines souvent trop raffinées. Ce CNF au son fermenté gagnerait  à être utilisé systématiquement dans toutes les panifications à la levure (ou au levain dur), à raison de 100 à 200 g par kg de farine, même pour la production de la baguette nationale. Cela ne pénalise nullement l’alvéolage, il est remarquable de noter que toute trace des particules de son a disparu dans la mie de ces pains, dont la valeur nutritionnelle est ainsi sensiblement augmentée. De plus, si on le veut, ce CNF au son peut servir entièrement de ferment et dans ces cas là, on revient à la configuration conventionnelle des 4 ingrédients, mais ce n’est pas le nombre d’ingrédients qui compte mais la démarche. Bonifier le pain grâce à un apport de CNF devrait progressivement devenir la règle en boulangerie. Notons aussi que le CNF peut être confectionné avec d’autres ingrédients que le son et en particulier les farines de légumes secs, voire un mélange de son et de légumes secs, ou diverses céréales grossièrement broyées ou écrasées,  l’essentiel étant d’apporter de la valeur nutritionnelle rendue disponible par une longue fermentation préalable. Dans les pains dits multicéréales, les boulangers font souvent pré-tremper leurs graines, ils gagneraient aussi à les faire en même temps fermenter pour diversifier la nature des CNF. Cependant l’essentiel des efforts devrait concerner une meilleure utilisation en panification des sons et des farines de légumes secs, c’est vraiment l’étape nouvelle que la boulangerie doit maintenant franchir. Cela offre aussi la possibilité de valoriser la majorité des sons bio disponibles et la totalité des sons de blés anciens. La possibilité de faire le lien entre variétés anciennes et modernes me semble aussi particulièrement satisfaisant pour l’esprit. Nous pourrions ainsi éviter  de  tirer un trait définitif sur des siècles d’agriculture et de sélection paysanne, et le public est sensible à cette démarche.

Il existe donc une opportunité remarquable de donner un nouvel avenir au pain par cette utilisation nouvelle de compléments nutritionnels fermentés, que l’ensemble de la filière pourrait facilement s’approprier. Je vous remercie de me faire part de vos réactions et je me tiens à votre disposition pour vous aider à maîtriser ce nouveau savoir-faire.

Christian Rémésy