Le pays du Soleil-Levant, il le découvre pour la première fois en 1992. Aux cotés du grand chef Marc Meneau, il participe à un événement de jumelage entre Tokyo et Paris. D’autres voyages suivront, mais c’est à partir de 1999 que Frédéric Madelaine va s’enraciner au Japon, où il officie pour la maison Dalloyau.
Cinq années plus tard, il décide de lancer sa propre entreprise, sous le nom de « Le Pommier ». Portrait et rencontre d’un homme rare, récompensé par les insignes de Chevalier dans l’Ordre National du Mérite et dans l’Ordre des Palmes Académiques pour ses activités en faveur de l’image de la France au Japon.
« Il est important pour moi de parler tout d’abord de Marc Meneau, auprès de qui j’ai travaillé durant sept ans. Un personnage entier comme j’aime, qui m’a avec sa femme, beaucoup apporté, tant sur le plan professionnel qu’affectif. »
Première boutique en 2005 à Tokyo, suivra une 2ème, puis une 3ème, l’ouverture fin 2014 (toujours à Tokyo), d’un café où le public déguste pâtisseries, petits sandwiches, jus de fruits frais, tartines, salades…et, la même année, l’ouverture d’un corner dans un hôtel de luxe au nord du pays (Yamagata). Corner uniquement dédié à la vente de chocolats, de fours secs et demi secs.
Cinq points de vente, une équipe de 28 personnes, dont un français
« Une partie de mon équipe parle français, mais un seul est de cette nationalité (il gère la troisième boutique ouverte en 2013 et cela se passe très bien). En toute franchise, -à part deux occasions où j’ai accueilli des professionnels francophones avec une bonne collaboration-, cela n’a pas été positif sur mes autres tentatives. Je le regrette, car la formation française reste la meilleure. Le problème se situe au niveau de la culture d’entreprise, très différente ici.» Le japonais est connu pour travailler beaucoup et ne pas compter ses heures, sur un rythme différent certes car très pointilleux -bâcler un travail est de l’ordre de l’impossible-, avec un attachement viscéral à la précision, à la perfection. « Les français ont moins cette dévotion. Les japonais veulent que leur entreprise fonctionne et dans leur travail, le service au client est très important. Ils ont conscience que le client est au-delà de l’entreprise, c’est grâce à lui que leur salaire est versé à la fin du mois. Une échelle de valeurs que nous ne retrouvons pas en France.»
Pour ce qui est du japonais, le chef le pratique suffisamment bien pour se faire comprendre. « Après seize ans, ce serait un peu dommage non ? Le ″désavantage″ est que j’ai une femme japonaise qui parle très bien français et c’est notre langue à la maison. »
Le calendrier des grandes périodes festives est proche de l’occidental, à part le « White Day » !
Noël et le jour de l’An sont plutôt des fêtes de famille. On reste à la maison pour déguster des bûches, des « short cakes » (une génoise découpée en trois tranches, avec de la chantilly et des fraises, l’une des plus grosses ventes d’entremets à Noël et pour la fête des mères). Fêtes de fin d’année qui sont aussi l’occasion d’offrir des boîtes de chocolats, de gâteaux demi secs et secs.
La troisième semaine de janvier, rendez vous au Salon du Chocolat à Tokyo. Une institution.
En février, la Saint-Valentin -autre fête entrée dans la culture japonaise-, la différence étant que les femmes offrent les cadeaux. Le « retour » masculin se faisant un mois plus tard (le 14 mars), avec le « White Day » qui pour les messieurs, signifie un présent de 3 à 4 fois la valeur de celui précédemment reçu !
A Pâques et pour le 1er avril, le chocolat est roi, comme en France. Viennent ensuite la fête des mères et des pères, deux autres dates plébiscitées au sein des familles.
L’été et le début de l’automne ne font pas partie des moments clés en chiffre d’affaires, le mois de septembre représentant en revanche, une grande charge de travail avec l’envoi des images et des textes pour les catalogues de fin d’année édités par tous les grands magasins. Des « objets de luxe », incontournables dans la culture japonaise.
La pâtisserie française, au cœur de l’image et du savoir faire de « Le Pommier »
Savarin, Mille-feuilles, Paris-Brest, Crème caramel, Opéra (dont Dalloyau est le créateur, avec un succès au Japon qui n’a pas dérogé depuis plus de trois décennies), Saint-Honoré, Tarte Pont-Neuf…sans parler du Mont-Blanc, autre grand classique « ils adorent le marron ! Actuellement, nous fabriquons une tarte spéciale marrons-framboises pour un grand magasin, livrée congelée chez le client. Ce qui m’amène à parler de la logistique, assez phénoménale, mise en place avec une entreprise spécialisée dans l’envoi de ces gâteaux. Tout est livré par avion, dans les temps et sans casse. J’en apprends encore sur le service au Japon ! »
D’autres créations accompagnent la gamme, tels le Yoyo aux fraises (un macaron avec de la mousse de fraise en sandwich, décoré de fraises fraîches), le Cache Cache (une mousse de crème de fromage crue et gelée de fruits rouges) ou encore, le Piémont et sa mousse de chocolat au lait et dujas aux parfums de noisettes.
Le Pommier est aussi connu pour ses éclairs, suivant les animaux du calendrier chinois. « Le mouton en 2015, le singe cette année. L’éclair ″chien″, le premier créé, est toujours plébiscité, il reste en vitrine depuis l’ouverture. »
En viennoiseries, les grandes références sont les croissants, pains au chocolats, chaussons au pommes et, les cannelés, qui connaissent un beau succès depuis une vingtaine d’années.
Les tartes aux fruits frais sont aussi très appréciées par le consommateur japonais. Fraises, framboises, pêches…mais un fruit rouge comme le cassis n’est pas encore entré dans les habitudes. « Je propose une tarte au cassis, mais elle ne fait pas partie des meilleures ventes. Quand ils ne connaissent pas, ils n’osent pas acheter. C’est comme le riz au lait. Manger du riz sucré, c’est bizarre pour eux, ils ont du mal. »
C’est là qu’intervient l’art et la manière de communiquer avec le client, de lui raconter une histoire. Le japonais aime ce qui touche à la culture d’un produit ou d’un met, toujours à l’écoute d’une anecdote mettant en valeur un patrimoine, des us et des coutumes. « Les vendeuses aiment cela, le fait de toucher le client avec une histoire. En ce moment, c’est la galette des rois, qui prend de plus en plus au Japon. Elles racontent comment on met le plus jeune enfant sous la table au moment de son découpage et pourquoi. »
L’entremet « Le Pommier », une spécialité marquant les racines du chef
De forme hexagonale, il est constitué d’une dacquoise noisette avec ganache au chocolat et noisette, d’une mousse de pommes vertes avec une pomme sautée à l’intérieur. « La France pour sa forme et les pommes pour ma Normandie d’origine. »
Natif de Caen, Frédéric Madelaine a reproduit le caractère de sa région dans la décoration de ses boutiques, où les colombages s’harmonisent avec des tomettes d’origine, achetées en Normandie.
Coté petits fours et chocolats…
Madeleines, financiers, macarons ou sablés, les fours demi secs et secs, produits cadeaux par excellence, représentent le deuxième pôle en chiffre d’affaires, après les petits gâteaux et les viennoiseries.
Dans la gamme des chocolats, des ganaches café-crème, framboise, praline, caramel, passion, praline-sésame…avec deux spécialités au whisky et au calvados. « Mais on ne retrouve que peu d’alcool que j’aime bien par ailleurs, dans mes gâteaux ».
Une ligne de glaces et sorbets maison est aussi proposée à la clientèle des trois boutiques.
Quelques créations mêlant les deux cultures
Un blanc manger avec du tofu (proposé en été), des madeleines au thé vert ou matcha framboise… « J’ai créé quelques desserts avec de la farine de riz, du yuzu (un produit que j’adore et qui s’adapte très bien à notre pâtisserie), mais je ne veux pas me ″japoniser″, c’est ma philosophie et de plus, ce n’est pas cela qu’on attend de moi. »
Les gâteaux sans sucre « Lakanto », imaginés à partir d’un produit chinois
Bavarois à la vanille, gelée de fraises et bananes, gâteau basque au chocolat, madeleines au thé vert ou matcha-framboise…Une réponse imaginée pour les diabétiques (et les personnes recherchant des gâteaux à basses calories), que le chef a mis en place depuis cinq ans, avec la découverte de l’Elystritol. Extrait de la plante Lakanca, ce produit au grand pouvoir sucrant est utilisé en médecine chinoise. « Il est présenté déshydraté et on le mélange pour faire une pâte. Mais on ne peut pas le travailler comme un sucre normal et faire du caramel par exemple.» Un produit que l’on trouve aussi sous forme de sirop, dont les japonais se servent pour adoucir le café ou d’autres boissons.
Pour ce qui est des allergies, il y en a beaucoup, elles concernent plus particulièrement les enfants avec les produits laitiers, les œufs et la farine.
Le domaine des approvisionnements : la nécessité de passer par des importateurs pour ce qui touche à l’international, la diversité d’un terroir local.
« Faire venir des produits soi même est relativement compliqué. J’avais essayé avec du jus de pomme et de cidre, mais ils devenaient chers car très taxés. De plus, importer au Japon implique des analyses poussées et coûteuses pour obtenir un certificat sanitaire. Ils m’avaient même demandé le ph de l’eau pour le lavage des pommes ! »
En chocolaterie, le chef référence les marques Valrhona, Chocolateries Opéra et Weiss. Ses glaçages viennent de France et de Belgique (Marguerite et Puratos). « Mes marrons, je les achète en Ardèche, chez la maison Imbert. Les amandes, noisettes et noix, en partie des USA, d’Espagne et d’Italie. Mais cela devient difficile pour les noisettes, car 50 % de la production mondiale est prise par une pâte à tartiner très connue. » Les blés sont canadiens et américains. « J’utilise aussi des farines françaises, plus chères mais de très bonne qualité. »
Les USA sont aussi bien référencés au Japon sur les fruits rouges : framboises, myrtilles, mûres et fraises (uniquement l’été). « Nous avons de belles fraises en local, cultivées sous serre dans le nord de Tokyo, accessibles de novembre à mai. »
Autres fruits locaux de qualité, les abricots, pêches, poires et raisins, cultivés dans le centre du pays. Les fruits exotiques venant généralement des Philippines et d’Asie du Sud Est. L’archipel d’Okinawa au sud, avec son climat très tropical, est une zone privilégiée en production de mangues, ananas et fruits de la passion. Mais leur culture (tout un art, les fruits sont enveloppés dans des sachets de soie directement sur l’arbre et tombent dans celui-ci quand ils sont mûrs), leur donne un prix de 50 € pièce, les réservant aux cadeaux.
Archipel d’Okinawa où l’on retrouve des plantations de canne à sucre, au goût délicat de réglisse et d’anis. « Des sucres bruns et très bons, de type moscovato, je m’en sers surtout pour les sirops. »
Pour les produits laitiers, hormis le beurre français dédié aux viennoiseries, les commandes se passent en local, auprès de producteurs dans le nord du pays. Le chef travaille avec trois fournisseurs aux crèmes de 30 à 49% de matières grasses de qualité, mais qui malheureusement, ne peuvent augmenter leur production. « Ils sont très demandés. J’ai quand même réussi à garder mes quantités, mais comment faire quand on ne veut pas passer par la Nouvelle Zélande et l’Australie maintenant bien implantés au Japon? Les produits laitiers français sont de qualité supérieure, avec un goût particulier, une odeur de vache si spécifique…mais vu leur coût -triplé ici- il m’est impossible de répercuter ce prix sur l’ensemble des références. C’est vraiment dommage que la France n’ait pas réussi à se positionner sur ce marché. J’espère que cette situation changera à l’avenir.»
Avant de quitter le chef et son pays d’accueil, la « madeleine de Monsieur Madelaine »
« Une bonne tranche de foie de veau ! Un produit que j’aime depuis toujours. Il n’y a pas de culture d’abats au Japon, sauf pour les volailles. Alors un foie aux échalotes, déglacé avec un peu de vinaigre, c’est ″le petit Jésus en culotte de velours″, qui me ramène à mon enfance et à ma mère. Il y a aussi les huîtres en gelée d’eau de mer, le turbot à l’os à moelle et le lièvre à la royale de Marc Meneau.»
Pâtisserie LE POMMIER
Boutique et Labo de Kitazawa
4-25-11 Kitazawa, Setagaya-ku
155-0031 Tokyo
Boutique d’Azabu Juban
3-9-2 Azabu Juban, Minato-ku
106-0045 Tokyo
Boutique de Kagurazaka
6-58-2 Kagurazaka , Shinjuku-ku
162-0825 Tokyo
[…] C’est à partir de 1999 que Frédéric Madelaine va s’enraciner au Japon, où il officie pour la maison Dalloyau. Par Marie Anne Page — À lire sur http://www.latribunedesboulangerspatissiers.fr/horizons-26/ […]
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