Horizons… rendez vous au Luxembourg avec Gérard Cayotte

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Maître pâtissier chocolatier, ce Mosellan d’origine a gardé au fil des années et des expériences, les mêmes valeurs acquises en apprentissage et chez les Compagnons du Devoir : l’humilité, un goût intact pour la curiosité et l’écoute, le sens de la remise en cause et celui de la transmission. Rencontre avec un artisan accompli autour du savoir faire et du savoir être.

Par Marie Anne Page

le chef Gérard CAYOTTE
le chef Gérard CAYOTTE

Un esprit de découverte, construit à bonnes écoles…

C’est à 15 ans qu’il entre en apprentissage chez le grand pâtissier Claude Bourguignon à Metz puis, ce sera un grand tour de France avec les Compagnons du Devoir. Ces deux expériences vont marquer son parcours : conjuguer le savoir faire et le savoir être, ne pas craindre de se remettre en question, garder le goût d’apprendre et celui de la transmission. « J’ai eu d’excellents maîtres, Claude Bourguignon en particulier (dont sa fille Violaine a repris l’entreprise). Il m’a donné l’envie d’apprendre en me traitant toujours avec considération. Grâce à lui, j’ai été le premier apprenti reçu chez Lenôtre ! Il m’avait emmené avec lui pour deux semaines de stage (sur le sucre tiré et le sucre soufflé), j’étais fier comme Artaban ! Ce grand professionnel -si discret-, a formé Christophe Felder, Frédéric Bau, Angelo Musa… Toute une panoplie de chefs à l’avant-garde, qui ont contribué à l’évolution de la pâtisserie, comme Christophe Felder  qui l’a faite respecter dans les palaces… »

L’arrivée au Luxembourg et Esch-sur-Alzette…

Devenu Maître pâtissier-chocolatier, il évolue plusieurs années dans le groupe Taittinger et ses palaces, avant de rejoindre l’hôtel « Le Royal » au Luxembourg, où il accepte le poste de chef-pâtissier dans ce bel établissement. Un bémol cependant, le mauvais caractère du chef executive, au point d’avoir envie de changer de métier ! Une chance en fait, qui l’amène à Esch-sur-Alzette, où il achète en 1997 fonds et murs d’une pâtisserie (en s’endettant beaucoup), après avoir passé un Brevet de maîtrise, obligatoire pour exercer. Avec sa femme Laurette arrive le projet d’une autre qualité de vie : l’histoire du pays est proche de celle de leur Lorraine natale (celle d’avoir été un grand bassin minier), la mentalité est accueillante, les racines proches (64 km), la ville animée et pleine d’avenir. « Esch est universitaire, avec très bonnes écoles et lycées. Capitale Européenne de la Culture en 2022, elle grandit avec une émulation raisonnée, c’est une chance. »

Profitons-en pour envoyer par delà les moulins certains à aprioris : on paie de bons impôts au Luxembourg, moins qu’en France certes (championne coté charges imposées aux entreprises), mais la vie est chère. La gestion du Grand-Duché est aussi plus agréable : tripartite, elle réunit syndicats, patronat et administration, et tout le monde s’entend !

Les artisans d’aujourd’hui doivent être des gestionnaires hors pair

Laurette continue sa carrière dans la finance. Avec deux enfants et une vie professionnelle bien chargée, elle assure pourtant le suivi en gestion. « Je suis très fier d’elle et de son parcours. Si je suis pointu dans mes comptes, c’est grâce à elle. Savoir lire un bilan, dégager de quoi vivre, c’est le B.A.BA que ne donne pas le brevet de maîtrise, alors qu’il nous faut être des gestionnaires hors pair. Quand elle me fait rectifier le tir, c’est toujours avec raison. Mais jamais, elle n’est intervenue pour la masse salariale ou sur la qualité des produits que j’achète. »

L’oxygène qu’apporte la formation…

Avec l’ouverture d’une seconde boutique (à Pétange en 2012, en collaboration avec le grand boucher luxembourgeois Steffen, à lire sur le site Internet de la Tribune des Métiers), le chef est entouré d’une équipe de 21 personnes (les trois quarts frontaliers).

Il continue de faire des stages à l’Ecole Bellouet. Cette démarche – sortir de sa zone de confort, écouter les tendances, pratiquer de nouvelles techniques -, est à considérer comme l’un des autres facteurs clés pour la réussite de l’entreprise. « Côtoyer des gens qui aident à réfléchir différemment, cela me booste et me permet de lancer des programmes de formation en interne. »

Et le chef investit : une fois par an, des chefs interviennent sur 3, 4 jours, tels les MOF Philippe Urraca et David Capy, ou encore Franck Colombié de chez Bellouet Conseil. Il leur est demandé l’enseignement et, de l’observation afin de repérer ce qui ne va pas (ce qu’il demande aussi à ses collaborateurs, gage d’une saine ambiance). « Il y a de jeunes chefs que je ramène de temps en temps sur terre, en leur expliquant qu’ils ne sont pas tous seuls : tout le monde contribue à l’évolution de l’entreprise, jusqu’au plongeur et aux femmes de charge. »

Une production qui a mis l’accent sur la vente à emporter…

En temps normal, le salon d’Esch accueille entre 40 et 50 couverts. Avec la COVID, tout a basculé en VAE. Le rayon traiteur (qui répond aussi à l’événementiel), dans une carte en constante variation (sauf la Bouchée à la reine avec frites et salade, un pilier !), propose salades, pizzas, soupes, toasts garnis, plats chauds…

Avec près de 30 références en pains et son large choix de viennoiseries, la boulangerie (5 % du C.A.), est le secteur d’appel. « C’est le pain qui nous a sauvé lors du premier confinement. La clientèle a répondu présent, en nous remerciant ! Je suis convaincu qu’il y aura un retour à l’égard du petit commerce. Ici les gens sont curieux car bien informés, fidèles et prêts à payer la qualité si on ne triche pas. »

Chez les cakes, entremets, tartes, chocolats…

Des incontournables, tel l’entremet trois chocolats de Gaston Lenôtre. « Je l’ai toujours, ainsi que la Forêt noire du MOF Guy Monnet. Après, tout se crée en équipe. Je ne m’imagine pas seul dans le bureau pour sortir la nouvelle carte, c’est normal de les impliquer, de les laisser s’exprimer. » Parmi les entremets du moment, le Tout chocolat (en photo) : une pâte sucrée cacao, fondant chocolat, ganache montée au Jivara, fève de Tonka et crémeux chocolat. Autre grand succès, le Coussin de fruits rouges (en photo) : pain de Gênes amandes, streusel pavot, confit de mûre-cassis et mousse à la mûre. Ou encore pour respirer l’été, le Tropical (dacquoise coco, confit passion, crémeux exotique et mousse mangue).

Petit arrêt sur l’entremet pour Pâques (en photo), imaginé par Sébastien et Clément : un biscuit au confit d’agrumes et chocolat vanille décoré d’œufs façon « au plat », composés de chocolat blanc pour le jaune, et de chantilly légèrement gélifiée pour illustrer le blanc. Le sac chocolat (en photo), est une idée du jeune Alexandre. Beau travail de création ! « Ils sont bien dans leurs basquets. Sébastien est un exemple de ces jeunes chefs qui s’intéressent à tout, en recherche constante, en éternelle remise en question. Des personnalités très positives pour notre métier. »

Offrir un cadre de travail agréable, où chacun est respecté de la même façon…

« La partie la plus dure est d’assurer la cohésion. Avec Stéphane, un pilier qui m’accompagne depuis 18 ans, je veille à ce que tous les collaborateurs soient sur le même pied, du laboratoire à l’équipe de vente dirigée par Delphine. Même s’il m’arrive d’avoir mon ″quart d’heure dominical″, je sais me remettre en question et veille à rendre les conditions de travail agréables. » En traduction, le quart d’heure signifie un petit coup de gueule. Le chef très attentif aux rémunérations, l’est aussi pour l’organisation des jours de repos : samedi et dimanche, dimanche et lundi ou, le mercredi si souhait évoqué. Le planning des vacances est fixé avant les fêtes de fin d’année et avant l’été. « On doit être vigilant, respecter les périodes. Et j’ai toujours réussi à contenter tout le monde ! »

Le respect de l’environnement s’appuie sur un bon cadre législatif

Très pointu sur le développement durable (il y a mêmes des contenants différenciés pour les plastiques durs et mous !), le pays a posé un bon un cadre législatif, respecté avec discipline. Pour les contenants (recyclables), le chef a lancé des cabas en carton et en tissu payants (entre 1,80 et 2 €), que les gens rapportent. Résultat : le budget emballage a diminué de… 40%. Parmi les actions menées, une démarche préventive sur les normes sanitaires : depuis 8 ans, les experts d’une société spécialisée viennent chaque trimestre (sans rendez vous, Gérard Cayotte l’a inscrit dans le cahier des charges), pour contrôler l’ensemble de l’entreprise. Un passage au crible « essentiel qui permet de rester vigilant. »

Sac Prestige réutilisable de Gerard CAYOTTE
Sac Prestige réutilisable de Gerard CAYOTTE

La madeleine de Proust de Gérard Cayotte

« Quand je reviens à Metz, refaire le trajet qui m’emmenait chez Claude Bourguignon pour mon apprentissage. J’ai toujours une pensée pour lui. Manger une potée lorraine en famille et une tarte aux mirabelles que je prépare (j’apporte toujours les desserts). Elle n’a pas le même goût là-bas ! »

Claude BOURGUIGNON toujours aimé de ses anciens apprentis. Ici avec Frederic Bau en 2018 ©Bourguignon Pâtisserie
Claude BOURGUIGNON toujours aimé de ses anciens apprentis. Ici avec Frederic Bau en 2018 ©Bourguignon Pâtisserie

Gérard Cayotte, Maître pâtissier-Chocolatier, Luxembourg
Boutiques à Esch-Sur-Alzette et Pétange
cayotte.com