Les spécialités salées vendues dans les boulangeries françaises pèsent un cinquième de leur chiffre d’affaires. Et l’offre constitue un axe de développement fort pour séduire de plus en plus de clients, mais aussi attirer des talents dans le métier.
Trente-cinq pourcents : c’est la part du chiffre d’affaires des établissements Y&M dans le département de Haute-Garonne consacré au snacking. « Pour nous, c’est un véritable axe de développement depuis que nous nous sommes lancés », explique Yohann Ratinho, cofondateur de l’entreprise avec son épouse. Commençant par la confection de sandwichs, le couple a rapidement proposé à ses clients un bar à salades pour arriver jusqu’à développer des plats du jour. « Sur notre formule du midi, nous avons un ticket moyen entre 9 et 12 euros. C’est toujours moins cher et moins long que d’aller au restaurant ! », indiquent-ils.


« C’est une vraie continuité de notre métier »
Yohann et Mercedes Ratinho construisent d’ailleurs une cuisine centrale qui approvisionnera leurs quatre boulangeries, avec des spécialités plus élaborées que l’incontournable jambon-beurre. « Avoir une proposition pour le repas du midi, c’est une vraie continuité de notre métier, souligne le chef d’entreprise. On va même aujourd’hui sur de la viennoiserie salée avec notre croissant aux cèpes et au magret de canard séché, mais aussi notre ficelle apéritive ou nos planches pour l’afterwork. » Un succès aussi car, au sein des Y&M, entre 20 et 70 places assises ont été prévues. « Car les Français ne sont pas nomades », note Bernard Boutboul, le président de l’agence Gira Conseil, invité à une conférence sur le Sirha 2025, en janvier dernier, intitulée « Comment le snacking transforme la boulangerie ». « Il est donc nécessaire de bien penser à ce paramètre aujourd’hui quand on ouvre un nouvel emplacement », appuie-t-il. Sur les 18 milliards d’euros de chiffre d’affaires généré par les 28 000 boulangeries en France en 2024, 18 % provient de leurs ventes en salé. Une explosion provoquée aussi par le fait qu’elles jouent de plus en plus « la carte du frigo vide », soit une série de propositions de plats à emporter qui augmentent l’addition lors de l’achat de la baguette du soir fait par les actifs, en rentrant de leur journée de travail.
« Répondre à des moments multiples en semaine et dans la journée »
« On a aussi des consommateurs qui viennent tôt le matin. À ce moment-là, ils doivent aussi pouvoir repartir avec leur déjeuner, confie Nicolas Bécam, qui a cofondé la Maison Bécam avec son épouse Cécile. Notre carte snacking est écrite pour répondre à de multiples moments en semaine et dans la journée, avec une stratégie de DLC d’une journée ou deux pour remplir généreusement nos vitrines, favoriser ainsi une impulsion d’achat mais aussi avoir une meilleure gestion de pertes. » Depuis le Maine-et-Loire où est situé le siège de l’entreprise, Nicolas Bécam et ses équipes ne cessent aussi d’agrandir les espaces dédiés au snacking derrière la vitrine. « Dans les nouveaux concepts que l’on ouvre, ils font 3,50 m et représentent un tiers de nos linéaires », détaille le dirigeant de l’enseigne qui a essaimé en franchise à travers 26 boutiques dans l’ouest de la France. Le boulanger s’est adjoint les services d’un aide culinaire pour composer deux cartes saisonnières dans lesquelles 40 % de l’offre se renouvelle au moment du passage de l’hiver au printemps et de l’été à l’automne. Les recettes sont consignées dans un livret détaillé avec le détail des ingrédients, des allergènes, le référencement des matières premières et les marges. Mais Nicolas Bécam va plus loin. Depuis fin 2024, il développe un nouveau métier dans ses boulangeries : celui de pizzaïolo, avec une offre de pizzas premium de 30 cm de diamètre, cuites au four et vendues entre 10 et 12 euros. « C’est un enjeu de conquête de territoire, ajoute Nicolas Bécam. Être sur différents positionnements permet de s’adapter aussi à l’emplacement en hypercentre-ville, gare, zone péri-urbaine ou quartier résidentiel. »


Les concepts de boutique mono-produit constituent aussi des supports intéressants pour développer une offre à manger avec les doigts à l’image de certaines adresses parisiennes comme le Bar à Brioches fondé par Margaux Aycard ou Groot d’Albane Auvray et Hugo Riboulet, anciens de Top Chef qui proposent des tourtes à toutes les sauces. Ils étaient d’ailleurs présents dans la programmation du précédent Lyon Street Food Festival, terrain révélateur de tendances en matière de casse-croûte qui s’emporte – et dont la 9e édition est programmée du 25 au 29 juin prochain. Dans la capitale des Gaules, Bru, boutique dédiée au pâté croûte, rappelle que cette spécialité charcutière est aussi un véritable classique dans le répertoire pâtissier. Pas étonnant donc de pouvoir en acheter désormais une tranche dans certaines boulangeries haut de gamme comme le confiaient certains professionnels jurés lors de la 15e édition du Championnat du Monde de Pâté-Croûte.
« Le boulanger, leader sur le déjeuner des actifs »
Le boulanger ne serait-il donc pas devenu aussi restaurateur ? « En tout cas, il est devenu leader sur le déjeuner des actifs. À 13 heures, en ville ou à la campagne, la file d’attente est devant les boulangeries ! » répond Bernard Boutboul. Et de préciser que la polyvalence de ces nouveaux lieux répond aussi peut-être aux nouvelles aspirations professionnelles de ceux qui s’orientent dans ces métiers, « qui ont envie de se réaliser autrement », voire de faire le lien avec leurs précédents savoir-faire pour ceux qui se reconvertissent. Afin de s’adapter à ces nouveaux modes de consommation, les établissements adaptent leurs noms, à l’image de « Croûton, boulangerie et cantine », qui doit ouvrir au printemps 2025 à Paris.
Bernard Boutboul remarque aussi que la préparation de cafés est une activité vers laquelle s’orientent de plus en plus les faiseurs de pain. Yohann et Mercedes Ratinho confirment : lors de leur visite au Sirha 2025 à Eurexpo Lyon, ils ont rencontré une grande enseigne italienne pour se faire accompagner dans la réalisation de cafés gourmands, latte et autres macchiato. En 2025, Maison Bécam va carrément ouvrir des cafés, « où se poser, faire un rendez-vous et où il sera possible de trouver de quoi bruncher, faire un goûter, de la pâtisserie et du snacking ».
Et si les fournils devenaient des pépinières où enfanter des concepts hybrides ? En tout cas, les observateurs s’accordent à dire que les néo-boulangers ont compris qu’il fallait faire vivre une expérience à la nouvelle génération de consommateurs avec de beaux produits, bien agencés, bien éclairés et du personnel présent pour les conseiller.
Anaïs Digonnet