Nous sommes au cœur de Tokyo dans l’hôtel Park Hyatt, tout près du ciel. Situé aux derniers étages d’une tour qui en compte 52, le palace avec ses suites VIP, ses trois restaurants, un salon de thé, une boutique et un delicatessen, accueille une clientèle internationale et japonaise, celle-ci friande de pâtisserie française et très avertie. Pour veiller à la destinée sucrée et boulangère, le chef pâtissier Julien Perrinet qui a pris ses marques en décembre 2020. Une mission de haut vol dans un pays à l’esprit unique et riche de nombreux paradoxes.
Par Marie Anne Page
« Horizons » avait déjà réalisé un portrait de Julien Perrinet en 2016. Alors installé à Taiwan comme Executive Pastry Chef du Grand Park Hyatt de Taipei, ce breton natif de Concarneau amoureux de l’Ailleurs, affichait un parcours conséquent ! Parti au Canada à 21 ans, puis au Qatar, en Chine, à Singapour, pour intégrer la chaîne Hyatt en 2015. Après son ancien poste à Taipei avec sept restaurants, 1800 repas par jour hors mariages et banquets, comment s’est vécu l’arrivée dans une « petite » structure comme celle de Tokyo ?
« C’est un hôtel phare de la chaîne et la proposition de le rejoindre représentait un gros challenge. C’est plus petit mais différent, avec toujours autant de travail mais en plus poussé, avec une exigence de qualité et d’excellence très élevée. »
Quand le langage pâtissier aide au management
Seuls trois français exercent dans l’l’hôtel : le Général Manager (Hervé Mazella), le Chef Executive (Thibault Chiumenti), et Julien Perrinet. Plusieurs autres nationalités composent le reste du staff, sauf en pâtisserie et boulangerie qui est japonaise, et ne parle que japonais. Le management n’a pas toujours été aisé, déjà par la barrière de la langue. Certes, beaucoup de clients natifs de l’Archipel parlent français (ils adorent notre pays), mais nous sommes dans des classes sociales élevées, qui pratiquent tout aussi aisément l’anglais. Mais pour l’ensemble de la population…
« Sur le relationnel, même après 12 ans en Asie et bien adapté, j’ai découvert une façon d’être vraiment unique. C’est très délicat, il faut être patient et politiquement correct. Et très, très calme ! » En créant des recettes, des déclics, en montrant l’exemple, amène le respect de l’équipe. « Heureusement, beaucoup de mots en pâtisserie sont français, déjà par la nomination de la profession. Au Japon, on dit « pâtissier ». On dit « appareil » et pas « mix »…Ensuite, arriver juste avant le confinement a été quelque part, une chance. Nous avons pu prendre le temps avec la brigade, apprendre à communiquer, à travailler ensemble (beaucoup par gestes), et grâce à cette terminologie française. Hors travail, dans la vie de tous les jours, c’est compliqué de communiquer efficacement, on peut vite se sentir étranger. Heureusement il y a les nouvelles technologies, tel le Google translate ! » Notons que le chef, après avoir appris les langues de ses précédents pays d’accueil, s’est mis au japonais, la meilleure manière de faciliter son intégration.
L’art et la manière de créer une signature
A savoir que le chef sorte de « petit prince de la pâtisserie », possède et depuis de nombreuses années, un niveau d’exigence bien au-delà des normes habituelles. En exemple, le (tout), fait maison en pâtisserie, boulangerie et viennoiserie. « Impossible pour moi autrement ! »
Le challenge que s’était fixé Julien pour cette nouvelle mission s’accordait avec son caractère : imposer un niveau de pâtisserie qui soit une signature, avec un caractère bien typée du lieu, de la région et du pays. A commencer par une esthétique imaginée au fil des saisons. « L’avantage du Japon ce sont les produits frais, il y a des vraies saisons bien marquées ici, plus qu’ailleurs en Asie, donc oui, je m’y focalise ! J’essais d’apporter quelque chose de différents en termes de goûts et de textures surtout. Je fais du classique avec une petite touche créative (les japonais raffolent de classiques français). De la crème vanille, des choux à la crème, du fraisier, du cheesecake, des mousses légères. Ils adorent. Aussi les desserts des fruits locaux et de saison ! »
Le millefeuille vanille Le millefeuille déclinaison framboise
Le mille-feuille fait partie des gâteaux phares. Pour une cuisson minute et efficace de la pâte, l’idée a été de s’inspirer du panini et de sa machine, ce qui donne de plus, un visuel sympathique. Gâteau présenté en forme de demi-cercle, agrémenté des fruits au gré des saisons.
En belles découvertes « fruitées » typiquement japonaises, le chef est tombé amoureux de la rhubarbe, du marron, des agrumes, du raisin vert (Shine muscat grape), dont il fait une tartelette recouverte d’une gelée sauvignon vanille.
Tartelette au raisin Shine Muscat japonais Ambiance desserts printemps Le summercake Ambiance desserts Halloween Ambiance desserts Hiver
Imaginer des trompe-l’œil en s’inspirant d’événements culturels
Ce type de création n’était pas nouveau, en revanche de l’associer à des moments particuliers de l’agenda japonais touche beaucoup la clientèle. Comme une déclinaison des mets servis lors des « Natsu matsuri », lesfestivals d’été, en revisitant la nourriture des marchés de nuits : le trompe l’œil de Takoyaki (de petites boules de pâte moelleuse fourrées au poulpe, très prisées en cuisine de rue), transformées en petits choux garnis de crème vanille recouverts de sauce chocolat puis de crème pâtissière et de ganache montée à la vanille et éclats de pistache. Ou encore la soupe de pâtes avec des boulettes de poulet frit. Pâtes revisitées faites de gelée à la vanille, avec de petits raisins, fraises et fleurs, accompagnées d’un « jus » de soupe de melon et pour les « boulettes », une pâte à choux praline.
Trompe l’œil Takoyaki Trompe l’œil Soupe de pâtes
Focus sur la fraise, indissociable de la culture japonaise
« La saison de la fraise est très importante ici, de décembre à mars, plus la fraise d’été. C’est le produit phare ici, il faut en avoir toute l’année (même importées). En gâteaux, il y a déjà le fraisier, le « strawberry shortcake » qui se savoure toute l’année. « Et il est carrément indissociable des fêtes de Noël, c’est LE gâteau par excellence. Un must, une folie. Les anciens veulent la même recette tous les ans pour retrouver le goût de quand ils étaient petits. Les jeunes générations vont goûter des bûches ou d’autres préparations, mais pour les anciens, le fraisier est indémodable. »
Aux côtés de ce fameux fraisier à la carte, le chef a développé différentes créations autour du fruit, tel le Velours cake (mousse de fraise avec une infusion de thé Marco Polo, dacquoise à la pistache, confiture de fraises, crémeux vanille aux fèves tonka et, fraises d’été). Il aime associer la fraise avec la vanille et la fève tonka (ses préférées), la pistache, du thé (jasmin ou matcha), ou encore avec les agrumes japonais yusu et hyu ganatsu.
Fraise blanche du Japon ©Fenoweb Fraise blanche du Japon ©Fenoweb Confiserie Ichigo daifuku ©EspaceJapon Le velours cake fraise Le Strawberry shortcake du Hyatt
Fraise indissociable d’une culture, mais non endémique
Voilà qui est étrange dans un pays si attaché (voire refermé), sur sa culture ! Car la fraise n’est pas native du Japon, elle a été importée il y a deux siècles. Cultivée à l’origine dans la préfecture de Tochigi (qui occupe la 1ère place en production sur l’Archipel), elle a pris un essor extraordinaire ces dernières décennies, donnant naissance à de très nombreuses variétés purement japonaises, toujours juteuses, parfumées, goûteuses. Extraordinaires fraises, produits de luxe car chères, que l’on (s’)offre en coffret ou, emballées à l’unité comme la White jewel (environ 8 € pièce), une espèce au goût extraordinaire qui grandit sans la lumière du jour. En culture populaire, la cueillette des fraises est l’une des sympathiques activités printanières : certains producteurs ouvrent leurs portes et l’on va à la « chasse aux fraises » en couple, entre amis, en famille. Le goût pour le fruit a développé nombre de friandises, confiseries, biscuits, snacks… C’en est presque incroyable, il y a même des Kit Kat à la fraise !
Transmission et Création, deux mots clés pour le chef
40 ans bientôt, c’est une bonne période pour faire le bilan et réfléchir à la suite. Avec la réouverture des frontières, le chef peut renouer avec les activités de coaching et de transmission qui lui sont chères. Exemple récent, le voyage à Djakarta pour accompagner l’ouverture du Hyatt. « Bientôt à Singapour, de nouveau Djakarta et Bangkok en 2023, ça m’avait manqué ! J’aimerais dans quelques années, passer du côté corporate au Hyatt sur l’Asie, être aux côtés des équipes pour travailler sur les standards, créer des recettes signatures… ». Latransmission et la création entrent pour lui dans la vision de son futur professionnel.
La madeleine de Proust de Julien Perrinet
En 2016, il nous parlait du riz au lait caramélisé avec des blancs en neige et de la crème anglaise, le dessert phare de sa grand-mère, transmis de génération en génération. « Pas de changement! Ca me manque …. »
Park Hyatt Tokyo
3 Chome-7-1 Nishishinjuku,
Shinjuku City, Tokyo 163-1055,
Japon
hyatt.com